Vies des douze Césars
dans une querelle de limites, Othon acheta le terrain tout entier, et l’affranchit du procès. En un mot, il n’y avait presque personne qui ne comprît et ne dît hautement que seul il était digne de succéder à l’empire.
V. Il médite de détrôner Galba
(1) Il avait conçu l’espérance d’être adopté par Galba, et s’attendait chaque jour à la voir réaliser. (2) Mais, frustré de cette attente par la préférence accordée à Pison, il eut recours à la violence. Outre le dépit qu’il en ressentait, l’énormité de ses dettes le poussait à cette extrémité. (3) Il ne dissimulait pas que, s’il n’était empereur, il ne pourrait se soutenir, et que peu lui importait de succomber sous le fer de ses ennemis dans le combat, ou sous les poursuites de ses créanciers dans le Forum. (4) Il avait extorqué, peu de jours auparavant, un million de sesterces, à un esclave de Galba, pour lui faire obtenir une place d’intendant. Ce fut là le fond d’une si grande expédition. (5) D’abord il en confia l’exécution à cinq satellites, puis à dix autres, chacun des premiers en ayant amené deux. Il leur donna dix mille sesterces par tête, et leur en promit cinquante mille. (6) Ces soldats gagnèrent d’autres conjurés en assez petit nombre ; mais on ne doutait pas qu’au moment de l’action il ne s’en présentât une quantité plus considérable.
VI. Proclamé empereur, il envoie tuer Galba
(1) Sa première idée était de s’emparer du camp aussitôt après l’adoption, et d’attaquer Galba dans son palais pendant qu’il serait à table. Mais il y renonça par égard pour la cohorte qui était de garde en ce moment, ne voulant pas la rendre trop odieuse. C’était la même qui avait laissé égorger Caligula et qui avait abandonné Néron. (2) Des superstitions et les avis de Seleucus le retinrent pendant quelque temps, (3) jusqu’à ce qu’enfin, ayant fixé le jour, il convoqua ses complices au Forum, près du temple de Saturne, autour du milliaire d’or. Le matin, il alla saluer Galba qui l’embrassa, selon sa coutume. Il assista aussi au sacrifice qu’offrait l’empereur, et entendit les prédictions de l’aruspice. (4) Ensuite un affranchi vint lui annoncer que les architectes étaient là : c’était le signal convenu. Othon s’éloigna comme pour aller voir une maison à vendre, et se déroba par une porte secrète du palais pour aller au rendez-vous. (5) D’autres disent qu’il feignit d’avoir la fièvre, et qu’il chargea ceux qui l’entouraient d’excuser ainsi son absence, si l’on s’en informait. (6) Caché dans une litière de femme, il prit le chemin du camp ; mais les forces venant à manquer à ses porteurs, il descendit et courut à pied. Sa chaussure s’étant défaite, il fut obligé de s’arrêter. Aussitôt des soldats le prirent sur leurs épaules et le proclamèrent empereur. Il arriva ainsi jusqu’à la place d’armes au milieu des acclamations et environné d’épées nues. Tous ceux qu’il rencontrait se déclaraient pour lui, comme s’il eussent été initiés au complot. (7) Là il envoya des cavaliers pour égorger Galba et Pison ; et, afin de se concilier davantage les esprits des soldats par des promesses, il leur déclara hautement qu’il ne voulait garder pour lui que ce qu’ils lui laisseraient.
VII. Il explique sa conduite au sénat. Il rend des honneurs à la mémoire de Néron
(1) Le jour baissait lorsqu’il entra dans le sénat. Il dit en peu de mots qu’on l’avait arraché de la foule et contraint d’accepter l’empire ; qu’il le gouvernerait selon la volonté générale. De là il se rendit au Palatium. (2) Parmi les félicitations et les flatteries de la populace, il s’entendit appeler Néron, et ne fit rien pour s’y opposer. Suivant même quelques historiens, dans les premiers actes et dans ses lettres aux gouverneurs des provinces, il ajouta ce nom au sien. (3) Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il laissa relever les statues de Néron, qu’il rétablit dans leurs charges les gens d’affaires et les affranchis de cet empereur. Le premier usage qu’il fit de sa puissance fut de décréter l’emploi de cinquante millions de sesterces pour achever la Maison dorée. (4) On prétend que, dans cette même nuit, un songe effrayant lui arracha des gémissements lamentables, et que ceux qui accoururent le trouvèrent étendu devant son lit. Il avait cru voir Galba le détrôner et le
Weitere Kostenlose Bücher