Vies des douze Césars
il la fit venir à Rome, et ne la renvoya que comblée d’honneurs et de récompenses magnifiques ; il souffrit même que le fils qu’il eut d’elle fût appelé de son nom. (3) Quelques auteurs grecs ont écrit que ce fils lui ressemblait pour la figure et la démarche ; M. Antoine affirma, en plein sénat, que César l’avait reconnu ; et il invoqua le témoignage de C. Matius, de C. Oppius, et des autres amis du dictateur. Mais Gaius Oppius crut nécessaire de le défendre et de le justifier sur ce point, et publia un livre pour démontrer que le fils de Cléopâtre n’était pas, comme elle le disait, fils de César. (5) Helvius Cinna, tribun du peuple, a avoué à beaucoup de personnes qu’il avait rédigé et tenu prête une loi dont César lui avait ordonné de faire la proposition en son absence, et qui permettait à celui-ci d’épouser, à son choix, autant de femmes qu’il voudrait, pour en avoir des enfants. (6) D’ailleurs, pour que personne ne puisse douter le moins du monde que César eut la plus triste réputation de sodomite et d’adultère, Curion le père, dans un de ses discours, l’appelle « le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris ».
LIII. Sa sobriété
(1) Ses ennemis mêmes conviennent qu’il faisait un usage très modéré du vin ; et l’on connaît ce mot de Marcus Caton, « que, de tous ceux qui avaient entrepris de renverser la république, César seul était sobre. » (2) Gaius Oppius nous apprend qu’il était si indifférent à la qualité des mets, qu’un jour qu’on lui avait servi, chez un de ses hôtes, de l’huile rance au lieu d’huile fraîche, il fut le seul des convives qui ne le refusa point, et que même il affecta d’en redemander, pour épargner à son hôte le reproche, même indirect, de négligence ou de rusticité. (3) Il ne montra aucun désintéressement ni dans ses commandements ni dans ses magistratures.
LIV. Ses concussions
(1) Il est prouvé, par des mémoires contemporains, qu’étant proconsul en Espagne, il reçut des alliés de fortes sommes, mendiées par lui comme un secours pour acquitter ses dettes ; et qu’il livra au pillage plusieurs villes de la Lusitanie, quoiqu’elles n’eussent fait aucune résistance, et qu’elles eussent ouvert leurs portes à son arrivée. (2) Dans la Gaule, il pilla les chapelles particulières et les temples des dieux, remplis d’offrandes ; et il détruisit certaines villes plutôt pour y faire du butin qu’en punition de quelque faute. Ce brigandage lui procura beaucoup d’or, qu’il fit vendre en Italie et dans les provinces, à raison de trois mille sesterces la livre. (3) Pendant son premier consulat, il vola dans le Capitole trois mille livres d’or, et il y substitua une pareille quantité de bronze doré. (4) Il vendit à prix d’argent les alliances et les royaumes : il tira ainsi du seul Ptolémée, en son nom et en celui de Pompée, près de six mille talents. (5) Plus tard encore, ce ne fut qu’à force de sacrilèges et d’audacieuses rapines qu’il put subvenir aux frais de la guerre civile, de ses triomphes et de ses spectacles.
LV. Son mérite comme orateur et comme écrivain
(1) Pour l’éloquence et les talents militaires, il égala, il surpassa même la gloire des plus grands maîtres. (2) Son accusation contre Dolabella le fit ranger, sans contestation, parmi les premiers talents du barreau. En tout cas, Cicéron, dans son traité à Brutus, où il énumère les orateurs, dit « qu’il n’en voit point à qui César doive le céder, » et il ajoute « qu’il y a dans sa manière de l’élégance et de l’éclat, de la magnificence et de la grandeur. » Cicéron écrivait aussi à Cornélius Nepos : « Quel orateur oseriez-vous lui préférer parmi ceux qui n’ont jamais cultivé que cet art ? qui pourrait l’emporter sur lui pour l’abondance ou la vigueur des pensées ? qui, pour l’élégance ou la beauté des expressions ?» (3) Fort jeune encore, il avait, à ce qu’il semble, adopté le genre d’éloquence de César Strabon, et il inséra même textuellement dans sa Divination plusieurs passages du discours de cet orateur Pour les Sardes. (4) Il avait, dit-on, la voix pénétrante, et il savait unir, dans ses mouvements et ses gestes, la grâce et la chaleur. (5) Il a laissé plusieurs discours, mais il en est qu’on lui a faussement attribués ; (6) et Auguste regardait avec raison le plaidoyer
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