Vies des douze Césars
franchissait les plus longues distances avec une incroyable célérité, sans apprêt, dans une voiture de louage, et il faisait ainsi jusqu’à cent milles par jour. Si des fleuves l’arrêtaient, il les passait à la nage ou sur des outres gonflées, et il lui arrivait souvent de devancer ses courriers.
LVIII. Sa prudence et sa témérité
(1) On ne saurait dire s’il montrait, dans ses expéditions, plus de prudence que de hardiesse. Jamais il ne conduisit son armée dans un pays propre à cacher des embuscades, sans avoir fait explorer les routes ; et il ne la fit passer en Bretagne qu’après s’être assuré par lui-même de l’état des ports, du mode de navigation, et des endroits qui pouvaient donner accès dans l’île. (2) Ce même homme, si précautionné, apprenant un jour que son camp est assiégé en Germanie, revêt un costume gaulois, et arrive jusqu’à son armée, à travers celle des assiégeants. (3) Il passa de même, pendant l’hiver, de Brindes à Dyrrachium, au milieu des flottes ennemies. Comme les troupes qui avaient ordre de le suivre n’arrivaient pas, malgré les messages qu’il ne cessait d’envoyer, il finit par monter seul, en secret, la nuit, sur une petite barque, la tête couverte d’un voile ; et il ne se fit connaître au pilote, il ne lui permit de céder à la tempête, que quand les flots allaient l’engloutir.
LIX. Il est inaccessible à la superstition
(1) Jamais un scrupule ne lui fit abandonner ou différer une seule de ses entreprises. Quoique la victime du sacrifice eût échappé au couteau, il ne remit pas son expédition contre Scipion et Juba. Bien plus, étant tombé en sortant de son vaisseau, il tourna dans un sens favorable ce présage et s’écria : « Afrique, je te tiens ! » (2) Pour éluder les prédictions d’après lesquelles le succès et la victoire dans cette province étaient attachés par les destins au nom des Scipions, il eut sans cesse avec lui dans son camp un obscur descendant de la famille Cornélia, homme des plus abjects, et à qui l’infamie de ses mœurs avait fait donner le surnom de Salviton.
LX. Ses batailles
(1) Pour les batailles, ce n’était pas seulement un plan bien arrêté, mais aussi l’occasion qui le déterminait. Il lui arrivait souvent d’attaquer aussitôt après une marche, et quelquefois par un temps si affreux que personne ne pouvait croire qu’il se fût mis en mouvement. Ce n’est que vers les dernières années de sa vie qu’il hésita davantage à livrer bataille, persuadé que plus il avait vaincu souvent, moins il devait tenter la fortune, et qu’il gagnerait toujours moins à une victoire qu’il ne perdrait à une défaite. (2) Jamais il ne mit un ennemi en déroute qu’il ne s’emparât aussi de son camp, et il ne laissait aucun répit à la terreur des vaincus. (3) Quand le sort des armes était douteux, il renvoyait tous les chevaux, à commencer par le sien, afin d’imposer à ses soldats l’obligation de vaincre, en leur ôtant les moyens de fuir.
LXI. Son cheval
Il montait un cheval remarquable, dont les pieds rappelaient la forme humaine, et dont le sabot fendu offrait l’apparence de doigts. Ce cheval était né dans sa maison, et les haruspices avaient annoncé qu’il présageait l’empire du monde à son maître : aussi l’éleva-t-il avec grand soin. César fut le premier, le seul, qui dompta la fierté rebelle de ce coursier. Dans la suite, il lui érigea une statue devant le temple de Vénus Genetrix.
LXII. Son énergie dans les moments critiques
On le vit souvent rétablir seul sa ligne de bataille qui pliait, se jeter au-devant des fuyards, les arrêter un à un, et les prendre à la gorge, pour les tourner vers l’ennemi. Et cependant ils étaient quelquefois si effrayés, qu’un porte aigle, qu’il arrêta ainsi, le menaça de son enseigne et qu’un autre, dont il avait saisi l’étendard, le lui laissa dans les mains.
LXIII. Son intrépidité
Voilà jusqu’où allait son intrépidité, et l’on pourrait en trouver des traits plus grands encore. Après la bataille de Pharsale, il avait d’avance envoyé ses troupes en Asie, et lui-même passait le détroit de l’Hellespont sur un petit bâtiment de transport : il rencontre Lucius Cassius, qui était du parti adverse, à la tête de dix vaisseaux de guerre ; loin de fuir, il s’avance, l’exhorte aussitôt à se rendre, et le reçoit suppliant à son bord.
LXIV.
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