Vies des douze Césars
Sa présence d’esprit dans le danger
Il attaquait un pont dans Alexandrie ; mais une brusque sortie de l’ennemi le força de sauter dans une barque. Comme de nombreux soldats s’y précipitaient aussi, il se jeta à la mer, et nagea l’espace de deux cents pas, jusqu’au vaisseau le plus proche, élevant sa main gauche au-dessus des flots, pour ne pas mouiller des écrits qu’il portait, traînant son manteau de général avec ses dents, pour ne pas laisser cette dépouille aux ennemis.
LXV. Sa conduite envers ses soldats
(1) Il ne jugeait point le soldat sur ses mœurs ou d’après les hasards de la fortune, mais seulement sur sa valeur ; et il le traitait avec autant de sévérité que d’indulgence. (2) Sévère, il ne l’était pas partout ni toujours ; mais il le devenait quand il était près de l’ennemi. C’est alors surtout qu’il maintenait la plus rigoureuse discipline ; il n’annonçait à son armée ni l’heure de la marche ni celle du combat ; il voulait que, dans l’attente continuelle de ses ordres, elle fût toujours prête, au premier signal, à marcher où il la conduirait. (3) Le plus souvent, il la mettait en mouvement sans motif, surtout les jours de fêtes et de pluie. Parfois même il avertissait qu’on ne le perdît pas de vue, et s’éloignant tout à coup, soit de jour, soir de nuit, il forçait sa marche, de manière à lasser ceux qui le suivaient sans l’atteindre.
LXVI. Comment il les rassurait
(1) Voyait-il ses soldats effrayés par ce qu’on racontait sur la puissance des ennemis, ce n’est pas en niant leurs forces ou en les dépréciant qu’il rassurait son armée, mais, au contraire, en les grossissant jusqu’au mensonge. (2) Ainsi l’approche de Juba ayant jeté la terreur dans tous les esprits, il assembla ses soldats et leur dit : « Sachez que, dans très peu de jours le roi sera devant vous, avec dix légions, trente mille chevaux, cent mille hommes de troupes légères, et trois cents éléphants. Que l’on s’abstienne donc de toute question, de toute conjecture, et qu’on s’en rapporte à moi, qui suis bien informé. Sinon, je ferai jeter les alarmistes sur un vieux navire, et ils iront aborder où les poussera le vent.
LXVII. Son affection pour eux
(1) Il ne faisait pas attention à toutes les fautes, et ne leur proportionnait pas toujours les peines ; mais il poursuivait avec une rigueur impitoyable le châtiment des déserteurs et des séditieux ; il fermait les yeux sur le reste. (2) Quelquefois, après une grande bataille et une victoire, il dispensait les soldats des devoirs ordinaires, et leur permettait de se livrer à tous les excès de la licence. Il avait coutume de dire « que ses soldats, même parfumés, pouvaient se bien battre. » (3) Dans ses harangues, il ne les appelait point soldats, mais se servait du terme plus flatteur de compagnons d’armes. Il aimait à les voir bien vêtus, et leur donnait des armes enrichies d’or et d’argent, autant pour la beauté du coup d’œil que pour les y attacher davantage au jour du combat, par la crainte de les perdre. (4) Il avait même pour eux une telle affection, que lorsqu’il apprit la défaite de Titurius, il laissa croître sa barbe et ses cheveux, et il ne les coupa qu’après l’avoir vengé.
LXVIII. Leur amour pour lui. Leur bravoure
(1) C’est ainsi qu’il leur inspira un entier dévouement à sa personne, et un courage invincible. (2) Quand il commença la guerre civile, les centurions de chaque légion s’engagèrent à lui fournir chacun un cavalier, sur leurs propres économies, et tous les soldats à le servir gratuitement, sans ration ni paie, les plus riches devant subvenir aux besoins des plus pauvres. (3) Pendant une guerre aussi longue, aucun d’eux ne l’abandonna ; il y en eut même un grand nombre qui, faits prisonniers par l’ennemi, refusèrent la vie qu’on leur offrait sous la condition de porter les armes contre lui. (4) Assiégés ou assiégeants, ils supportaient si patiemment la faim et les autres privations, que Pompée, ayant vu dans les retranchements de Dyrrachium l’espèce de pain d’herbes dont ils se nourrissaient, dit « qu’il avait affaire à des bêtes sauvages ;» et il le fit disparaître aussitôt, sans le montrer à personne, de peur que ce témoignage de la patience et de l’opiniâtreté de ses ennemis ne décourageât son armée. (5) Une preuve de leur indomptable courage, c’est
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