Vies des douze Césars
aux pieds et abandonnée à elle-même au milieu des troubles civils, se réfugierait dans son sein, comme dans un asile assuré. (5) Une autre fois, pendant son dîner, un chien étranger apporta d’un carrefour une main d’homme qu’il jeta sous la table. (6) D’un autre côté, tandis qu’il soupait, un bœuf de labour ayant rompu son joug, se précipita dans la salle à manger, mit les esclaves en fuite, puis, tout à coup, comme s’il s’était fatigué, tomba à ses pieds et lui présenta le cou. (7) À la campagne de son aïeul, un cyprès déraciné et renversé, sans avoir été frappé par la tempête, se releva le lendemain plus vert et plus vigoureux. (8) En Achaïe, il rêva qu’une ère de prospérité commencerait pour lui et pour les siens, dès qu’on aurait ôté une dent à Néron ; et, le lendemain, s’étant rendu dans l’antichambre de ce prince, le médecin lui montra une dent qu’il venait de lui arracher. (9) Dans la Judée, il consulta l’oracle du dieu Carmel, et le sort lui répondit que ce qu’il pensait en ce moment, quelque grands que fussent ses desseins, il lui en assurait le succès. Josèphe, un des plus nobles prisonniers, au moment où on le jetait dans les fers, ne cessa d’affirmer que bientôt il serait délivré par Vespasien, et par Vespasien empereur. (10) De Rome on lui annonçait d’autres présages. Dans ses derniers jours, Néron avait été averti en songe de faire transporter de son sanctuaire le char sacré de Jupiter, dans la maison de Vespasien, et de là dans le cirque. Peu de temps après, lorsque Galba réunit les comices pour son second consulat, la statue de Jules César s’était tournée d’elle-même vers l’orient. Enfin, à Bédriac, avant qu’on en vint aux mains, deux aigles s’étaient battus en présence des deux armées, et l’un ayant été vaincu, un troisième était venu du levant et avait chassé le vainqueur.
VI. Il est proclamé empereur par les armées d’Orient
(1) Cependant, malgré le zèle et les instances des siens, il fallut pour le déterminer la déclaration inattendue de quelques troupes lointaines qu’il ne connaissait pas. (2) Deux mille hommes appartenant aux trois légions de l’armée de Mésie, avaient été envoyés au secours d’Othon. Ils étaient déjà en route quand ils apprirent sa défaite et sa mort. Ils ne laissèrent pas de s’avancer jusqu’à Aquilée, comme s’ils doutaient de cette nouvelle. (3) Là, profitant de l’occasion et de leur liberté, ils s’abandonnèrent à toutes sortes de rapines. Mais, craignant qu’à leur retour il ne fallût en rendre compte, et subir la peine de leurs excès, ils résolurent d’élire et de faire un empereur, ne se croyant au-dessous ni des légions d’Espagne qui avaient proclamé Galba, ni des prétoriens qui avaient couronné Othon, ni de l’armée de Germanie qui avait élevé Vitellius. (4) Ils passèrent donc en revue les noms de tous les légats consulaires, en quelque lieu qu’ils fussent. Ils n’en admettaient aucun pour des raisons diverses, lorsque quelques soldats de la troisième légion, qui, vers la fin du règne de Néron, avait été transportée de Syrie en Mésie, firent le plus grand éloge de Vespasien. Tous applaudirent et sur-le-champ inscrivirent son nom sur leurs enseignes. (5) Cependant cette élection n’eut pas de suite, parce que les soldats rentrèrent peu à peu dans le devoir. (6) Mais le fait s’étant ébruité, Tiberius Alexander, préfet d’Égypte, fut le premier qui engagea les légions à prêter serment à Vespasien, le jour des calendes de juillet. Ce jour, qui signalait son avènement au trône, fut dans la suite fêté religieusement. L’armée de Judée lui jura fidélité le cinquième jour avant les ides de juillet. (7) Plusieurs circonstances contribuèrent puissamment au succès de l’entreprise : d’abord la copie répandue d’une lettre, vraie ou supposée, d’Othon à Vespasien, où, avant de mourir, il le chargeait de le venger, et le priait de secourir l’empire ; ensuite le bruit qui courut que Vitellius voulait changer les quartiers d’hiver des légions, et transporter en Orient celles de Germanie pour leur assurer un service plus doux et plus tranquille ; enfin Licinius Mucianus, l’un des gouverneurs des provinces, et Vologèse, roi des Parthes : le premier renonça à la haine ouverte que la jalousie lui avait inspirée jusqu’alors, et lui assura l’aide de
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