Vies des douze Césars
presque sans interruption la questure, la préture et le consulat. Peu de temps après, il fut créé consul pour la seconde fois, et revêtu de la puissance tribunitienne pour cinq ans.
X. Il prend la soudaine résolution de quitter Rome
(1) Au milieu de tant de prospérités, dans la force de l’âge, et avec une santé florissante, il prit tout à coup le parti de se retirer et de s’éloigner le plus possible, soit par dégoût de sa femme qu’il n’osait ni accuser ni répudier, et que pourtant il ne pouvait plus souffrir, soit pour éviter une assiduité fastidieuse, et non seulement affermir son autorité par l’absence, mais l’accroître même, dans le cas où la république aurait besoin de lui. (2) Quelques-uns pensent que, les enfants d’Auguste étant adultes, Tibère leur abandonna de son plein gré le second rang qu’il avait longtemps occupé, à l’exemple d’Agrippa, qui, lorsque Marcellus eut été appelé aux charges publiques, s’était retiré à Mytilène, pour que sa présence ne lui donnât point l’air d’un concurrent ou d’un censeur. Tibère lui-même avoua, mais plus tard, ce dernier motif. (3) Pour le moment, prétextant la satiété des honneurs et le besoin de repos, il demanda la liberté de se retirer, et ne se rendit ni aux vives instances de sa mère, ni à celles de son beau-père qui se plaignit dans le sénat d’être abandonné. (4) Voyant qu’on s’opposait obstinément à son départ, il s’abstint de nourriture pendant quatre jours. (5) Enfin on lui permit de partir. Il laissa à Rome sa femme et son fils, et prit aussitôt la route d’Ostie. Il ne répondit pas un mot à ceux qui l’accompagnaient, et n’embrassa même qu’un très petit nombre d’entre eux en les quittant.
XI. Il se fixe à Rhodes. Ses occupations. Il demande la permission de revenir, qui lui est refusée
(1) D’Ostie il allait côtoyant les bords de la Campanie, lorsqu’il apprit que la santé d’Auguste s’affaiblissait. Il s’arrêta quelques jours. (2) Mais le bruit qu’il ne différait son départ que pour voir s’accomplir les plus grandes espérances s’étant accrédité de plus en plus, il s’embarqua pour Rhodes par un temps peu favorable. Il avait été charmé de l’agrément et de la salubrité de cette île où il avait abordé à son retour d’Arménie. (3) Il se contenta d’un logement modeste et d’une maison de campagne qui n’était guère plus grande, et vécut comme le plus simple citoyen, se promenant de temps en temps dans les gymnases, sans licteur, sans huissier, et entretenant avec les Grecs un échange de devoirs mutuels presque sur le pied de l’égalité. (4) Un matin, en réglant les occupations de la journée, il lui arriva de dire qu’il voulait visiter tous les malades de la ville. Ceux qui l’entendirent l’interprétèrent différemment, et l’on ordonna de porter tous les malades dans une galerie publique où ils furent disposés par genre de maladie. Frappé de ce spectacle imprévu, il demeura longtemps incertain. Enfin il s’approcha de chacun en faisant à tous, même à ceux du rang le plus bas et aux inconnus, des excuses de cette méprise. (5) On n’a remarqué qu’une seule circonstance où il ait paru exercer la puissance tribunicienne. Comme il fréquentait les écoles, et qu’il assistait aux conférences des professeurs, il intervint un jour dans une discussion fort chaude, entre des sophistes. L’un d’eux le croyant favorable à son adversaire, s’emporta contre lui en propos injurieux. (6) Tibère retourna chez lui sans rien dire, reparut tout à coup avec des huissiers, cita devant son tribunal par un crieur public celui qui l’avait insulté, et le fit traîner en prison. (7) Bientôt il apprit que sa femme Julie avait été condamnée pour ses désordres et ses adultères, et que, de sa propre autorité, Auguste lui avait notifié le divorce en son nom. Quoique charmé de cette nouvelle, il crut devoir écrire lettres sur lettres pour apaiser le père envers sa fille, et obtenir qu’il lui laissât tous les dons qu’il lui avait faits, quelque indigne qu’elle en fût. (8) Lorsque le temps de sa puissance tribunicienne fut écoulé, il avoua enfin qu’en s’éloignant, il n’avait eu d’autre but que d’éviter le soupçon de rivalité avec Caius et Lucius ; et, comme il était tranquille de ce côté, depuis que l’âge leur assurait la possession facile de la seconde place, il
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