Vies des douze Césars
fermeté. (5) Tibère, craignant surtout ce danger, demanda pour lui les fonctions qu’il plairait au sénat de lui assigner, nul n’étant capable de porter ce fardeau tout entier, et ne pouvant se passer du secours d’un autre ou de plusieurs. (6) Il feignit aussi d’être malade, afin que Germanicus attendît plus patiemment, ou une succession prochaine, ou du moins le partage de la souveraine puissance. (7) Les séditions apaisées, il s’empara de Clemens par trahison, et l’assujettit à son pouvoir. (8) Quant à Libo, ne voulant pas commencer son règne par des rigueurs, ce ne fut que la seconde année qu’il l’accusa dans le sénat, et jusque-là, il se tint en garde contre lui. Un jour qu’ils sacrifiaient ensemble avec les pontifes, au lieu du couteau ordinaire, il lui fit donner un couteau de plomb. Une autre fois, Libo lui ayant demandé un entretien secret, il ne le lui accorda qu’en présence de son fils Drusus, et sous prétexte de s’appuyer sur lui pendant leur promenade, il contint sa main droite jusqu’à la fin de la conversation.
XXVI. Sa fausse modestie
(1) Affranchi de crainte, il se conduisit d’abord avec beaucoup de modération, et presque comme un particulier. (2) Parmi beaucoup d’honneurs éclatants qu’on lui offrait, il n’accepta que les moindres, et en petit nombre. La célébration du jour de sa naissance s’étant rencontrée avec les jeux du cirque, il ne permit qu’on y ajoutât pour lui qu’un char à deux chevaux. (3) Il ne voulut ni temples ni flamines, ni prêtres. Il défendit qu’on lui dressât des statues, ou qu’on exposât ses images sans sa permission, et encore à condition qu’elles ne seraient point placées parmi les effigies des dieux, et ne serviraient qu’à orner les édifices. Il s’opposa à ce qu’on jurât par ses actes, et ne souffrit pas que le mois de septembre fût appelé Tiberius, ni le mois d’octobre Livius. (4) Il refusa le prénom d’Imperator et le surnom de Père de la Patrie, ainsi que la couronne civique dont on voulait décorer le vestibule de son palais. Il n’ajouta le nom d’Auguste, qui lui appartenait par héritage, que dans ses lettres aux rois et aux souverains. (5) Il n’agréa que trois consulats : l’un pendant peu de jours ; l’autre pendant trois mois, et le troisième en son absence jusqu’aux ides de mai.
XXVII. Son aversion pour la flatterie
(1) Il avait une telle aversion pour la flatterie, qu’il ne permit jamais à aucun sénateur d’accompagner sa litière, soit pour lui faire sa cour, soit pour lui parler d’affaires. Un personnage consulaire lui demandait pardon, et voulait embrasser ses genoux. Tibère se retira si brusquement, qu’il tomba à la renverse. Parlait-on de lui d’une manière trop flatteuse, dans une conversation ou dans un discours soutenu, il n’hésitait point à interrompre, à reprendre et à changer aussitôt l’expression. (2) Quelqu’un lui donna le nom de maître : il lui signifia de ne plus lui faire désormais cet affront. Un autre appela ses occupations sacrées : il le reprit, et fit mettre en place occupations laborieuses. Un troisième disait qu’il s’était présenté au sénat par son ordre : il fit substituer par son conseil.
XXVIII. Sa longanimité
(1) Insensible aux propos injurieux, aux mauvais bruits et aux vers diffamatoires répandus contre lui et contre les siens, il disait souvent que, dans un état libre, la langue et l’esprit devaient être libres. Le sénat demandait un jour qu’on informât sur cette espèce de crime, et qu’on poursuivît les coupables : « Nous n’avons pas assez de loisir, répondit-il, pour nous embarrasser d’un plus grand nombre d’affaires. Si vous ouvrez cette porte, vous ne nous laisserez plus le temps de faire autre chose, et, sous ce prétexte, toutes les inimitiés particulières nous seront déférées ». (2) On a retenu encore de lui ces paroles pleines de modération : « Si quelqu’un dit du mal de moi, je tâcherai de lui expliquer mes paroles et mes actions. S’il persiste, je le haïrai à mon tour ».
XXIX. Sa conduite à l’égard des sénateurs
(1) Cette conduite était d’autant plus remarquable, que, par ses déférences et ses respects envers chacun et envers tous, il avait lui-même presque dépassé les bornes de la politesse. (2) Un jour que dans le sénat il avait contredit Q. Haterius : « Pardonnez-moi, je vous prie, lui dit-il, si, comme
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