Vies des douze Césars
faillit le faire expirer sous ses coups.
LXI. Ses atrocités
(1) Bientôt il s’abandonna à toute espèce de cruauté. Les sujets ne lui manquaient pas. Il persécuta d’abord les amis de sa mère, puis ceux de ses petits-fils et de sa belle-fille, enfin ceux de Séjan, et même leurs simples connaissances. Ce fut surtout après la mort de Séjan, qu’il mit le comble à ses fureurs ; (2) ce qui fit clairement voir que ce ministre l’excitait bien moins encore qu’il ne fournissait à ses penchants cruels les occasions de faire le mal. Cependant Tibère, dans un précis biographique, ose dire qu’il a puni Séjan parce qu’il a découvert ses desseins criminels contre les enfants de son fils Germanicus. La vérité est qu’il fit périr l’un de ces deux princes, lorsque Séjan lui était déjà devenu suspect, et l’autre après la perte de ce favori. (3) Il serait trop long de rapporter en détail toutes ses cruautés : je me contenterai d’en donner une idée générale. (4) Il ne se passa pas un seul jour, sans en excepter les jours consacrés par la religion, qui ne fût marqué par des supplices. Le premier jour de l’an, il sévit contre quelques citoyens. (5) Il enveloppa dans la même condamnation les femmes et les enfants d’un grand nombre d’accusés. (6) Il était défendu aux proches de pleurer ceux qui étaient condamnés à mort. (7) Les plus grandes récompenses étaient décernées aux accusateurs et quelquefois même aux témoins. (8) On ajoutait foi à tout délateur ; (9) tout crime était capital, même de simples paroles. (10) Un poète fut accusé d’avoir fait dire des injures à Agamemnon dans une tragédie, et un historien d’avoir appelé Brutus et Cassius les derniers des Romains. On les punit sur-le-champ, et l’on supprima leurs écrits, quoiqu’ils eussent été approuvés quelques années auparavant et lus devant Auguste. (11) Des prisonniers furent privés non seulement des consolations de l’étude, mais même de tout commerce et de tout entretien. (12) Plusieurs, appelés en justice et sûrs d’être condamnés, se frappèrent dans leurs maisons pour éviter les tourments et l’ignominie ; d’autres avalèrent du poison au milieu du sénat. Mais on pansait leurs blessures, et on les portait en prison à demi morts et palpitants. (13) Tous les suppliciés étaient traînés avec un croc et jetés aux Gémonies. On en compta jusqu’à vingt en un seul jour, et parmi eux des femmes et des enfants. (14) Comme il n’était pas d’usage d’étrangler les vierges, le bourreau les violait auparavant. (15) On forçait de vivre ceux qui voulaient mourir ; car Tibère regardait la mort comme un supplice si léger, qu’ayant appris qu’un prévenu, nommé Carnulus, s’était suicidé, il s’écria « Carnulus m’a échappé ». (16) Un jour qu’il visitait les prisons, il répondit à quelqu’un qui le priait de bâter son supplice : « Je ne me suis pas encore réconcilié avec toi ». (17) Un consulaire rapporte dans ses annales, qu’à un repas nombreux auquel il assistait, un nain, mêlé avec d’autres bouffons, lui demanda brusquement et tout haut pourquoi Paconius, accusé de lèse-majesté, vivait si longtemps. Tibère lui reprocha d’abord son indiscrétion ; mais peu de jours après, il écrivit au sénat qu’il eût à statuer sans délai sur la peine due à Paconius.
LXII. Il informe contre les prétendus complices de la mort de Drusus. Il invente des supplices
(1) Il fut exaspéré au plus haut point, et ses fureurs redoublèrent, lorsqu’il apprit que son fils Drusus, (2) qu’il croyait être mort d’intempérance et de maladie, avait été empoisonné par sa femme Livilla et par Séjan. Il multiplia les tourments et les supplices. L’instruction de cette procédure l’absorba tellement pendant des journées entières, qu’il fit sur-le-champ appliquer à la question, comme parent de celui qu’il recherchait, un de ses hôtes de Rhodes que, par une lettre amicale, il avait appelé à Rome, et dont on lui annonçait l’arrivée. Ensuite, quand l’erreur fut reconnue, il ordonna son supplice pour étouffer cette aventure. (3) On montre encore à Caprée le lieu des exécutions. C’était un rocher d’où l’on précipitait dans la mer les malheureux auxquels on avait fait souffrir les tortures les plus longues et les plus recherchées. Des matelots les recevaient et les assommaient avec des crocs et des avirons
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