Vies des douze Césars
jusqu’à ce qu’il ne leur restât plus un souffle de vie. (5) Il avait imaginé, entre autres genres de cruautés, d’user d’adresse pour faire boire beaucoup de vin à ses convives ; puis on leur liait aussitôt la verge pour qu’ils souffrissent à la fois des ligatures et du besoin d’uriner. (6) Si la mort ne l’eût prévenu, et si Thrasylle ne l’eût engagé exprès, dit-on, à différer quelques-uns de ses projets en lui faisant espérer une plus longue vie, il aurait encore immolé plus de victimes, et n’aurait épargné aucun de ses autres petits-fils. Gaius lui était suspect, et il méprisait Tibère comme le fruit d’un adultère. (7) Cette supposition n’est pas absurde ; car de temps en temps il vantait le bonheur de Priam qui avait survécu à tous les siens.
LXIII. Ses terreurs
(1) Mais, au milieu de tant d’horreurs, outre qu’il inspirait de la haine et de l’exécration, il était encore en proie aux agitations et en butte aux outrages. En voici des preuves. (2) Il défendit de consulter les augures en secret et sans témoins. Il voulut un jour disperser les oracles voisins de Rome ; mais il y renonça, effrayé de la puissance des sorts de Préneste, que l’on avait apportés à Rome, dans une boîte cachetée, n’avaient pu y être découverts que lorsque la botte eut été reportée dans le temple. (3) Une autre fois il offrit des provinces à un ou deux consulaires sans oser les y envoyer, et il les retint près de lui jusqu’à ce qu’il leur eût donné des successeurs quelques années après. Néanmoins, comme ils conservaient le titre de leur charge, il leur déléguait plusieurs affaires qu’ils faisaient terminer par leurs lieutenants et leurs subordonnés.
LXIV. Ses précautions contre sa belle-fille et ses petits-fils
Après la condamnation de sa bru et de ses petits-fils, il ne les fit jamais aller d’un lieu dans un autre qu’enchaînés et dans une litière fermée, avec une escorte militaire qui avait ordre d’empêcher les passants d’y fixer leurs regards ou de s’arrêter.
LXV. Il se défait de Séjan. Ses craintes et ses précautions
(1) Il tolérait qu’on célébrât publiquement la naissance de Séjan, et qu’on révérât partout ses images en or. Mais, dès que ce ministre conspira contre lui, il ne déploya point pour le perdre son autorité suprême : il recourut à la ruse et à l’artifice. (2) Afin de l’éloigner de lui sous un prétexte honorable, il le fit son collègue dans son cinquième consulat qu’il se décerna pour cela même, après un long intervalle et pendant qu’il n’était pas à Rome. (3) Ensuite il le séduisit par l’espoir d’une alliance et de la puissance tribunicienne, et tout à coup il l’accusa dans une honteuse et misérable missive au sénat. Il priait les sénateurs de lui envoyer un des consuls pour qu’il accompagnât devant eux avec une escorte militaire un vieillard abandonné. (4) Plein de défiance, et craignant une révolution, il avait donné ordre que l’on mît en liberté son petit-fils Drusus, alors détenu en prison à Rome, si les circonstances l’exigeaient, et qu’on le mît à la tête des affaires. (5) Il tenait des vaisseaux tout prêts pour se réfugier auprès de quelqu’une des armées ; et, de temps en temps, du haut d’un rocher escarpé, il observait les signaux qu’il avait fait élever au loin, afin de savoir promptement tout ce qui se passait, sans que les messages fussent arrêtés. (6) Quand la conjuration de Séjan fut étouffée, il ne fut ni plus rassuré ni plus ferme, et durant neuf mois il ne sortit point de sa villa qu’on appelait « la villa d’Ion ».
LXVI. Il est en butte à toutes sortes d’outrages
(1) Il recevait de toutes parts des avanies qui achevaient d’ulcérer son âme inquiète. Les condamnés l’accablaient en face de mille invectives, ou déposaient leurs satires dans l’orchestre. (2) Il en était très diversement affecté : tantôt la honte lui faisait désirer que ces outrages demeurassent inconnus ou cachés ; tantôt il feignait de les mépriser, les répétait lui-même et les rendait publics. (3) Il fut aussi fort maltraité dans une lettre d’Artaban, roi, des Parthes, qui lui reprochait ses parricides, ses meurtres, sa lâcheté, ses débauches, et qui l’engageait à satisfaire le plus tôt possible, par une mort volontaire, l’implacable et juste haine de ses concitoyens.
LXVII. Il savait
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