Vies des douze Césars
s’adonna aux récits fabuleux avec un soin qui allait jusqu’à la niaiserie et jusqu’au ridicule. Les questions qu’il faisait ordinairement aux grammairiens pour lesquels, comme nous l’avons dit, il avait de la prédilection, étaient à peu près de cette nature : « Quelle était la mère d’Hécube ? Quel nom avait Achille à la cour de Lycomède ? Quels étaient les chants des Sirènes ?» (6) Enfin, le jour où il entra dans le sénat pour la première fois, après la mort d’Auguste, il crut devoir, pour satisfaire tout ensemble à la religion et à la piété filiale, imiter le sacrifice de Minos, à la mort de son fils : il offrit aux dieux du vin et de l’encens, mais sans joueur de flûte.
LXXI. Il interdit l’usage du grec en public
(1) La langue grecque lui était familière, mais il ne la parlait pas indistinctement en tous lieux. Il s’en abstenait surtout avec tant de scrupule dans le sénat, qu’avant de prononcer le mot « monopole », il commença par s’excuser de ce qu’il était obligé de recourir à ce terme étranger. (2) Un jour aussi, ayant entendu dans un décret du sénat le mot « emblema », il fut d’avis qu’on changeât ce mot barbare, et qu’on lui substituât une expression latine, ou, si l’on n’en trouvait pas, qu’on se servît d’une périphrase. (3) Il força un soldat, auquel on demandait son témoignage en grec, de répondre en latin.
LXXII. Commencement de sa maladie
(1) Pendant tout le temps de sa retraite, il n’essaya que deux fois de retourner à Rome. La première fois il vint sur une trirème jusqu’aux jardins de César. Des soldats rangés sur les bords du Tibre avaient ordre d’écarter tous ceux qui auraient voulu se porter au-devant de lui. La seconde fois, il s’avança par la voie Appienne jusqu’au septième milliaire, vit les murs de Rome sans y entrer, et repartit. Au premier voyage, on ne sait quelle fut la cause de son retour ; mais au second ce fut un prodige qui l’effraya. (2) Il s’était amusé à élever un serpent. Un jour qu’il allait, selon son habitude, lui donner à manger de sa main, il le trouva rongé par les fourmis : c’était un avertissement d’éviter la violence de la multitude. (3) Il revint donc à la hâte en Campanie, et tomba malade à Astura ; puis, se sentant un peu mieux, il poussa jusqu’à Circéies. (4) Là, pour éloigner tout soupçon de maladie, il assista à des jeux militaires, et même lança des javelots sur un sanglier qu’on avait lâché dans l’arène. mais il ressentit aussitôt un point de côté, prit un refroidissement après s’être trop échauffé, et retomba plus dangereusement malade. (5) Néanmoins il se soutint encore quelque temps à Misène où il s’était fait transporter, quoique, par intempérance ou par dissimulation, il ne retranchât rien de sa vie ordinaire, pas même les festins ni les autres plaisirs. (6) Son médecin Chariclès, sur le point de le quitter au sortir d’un repas, lui prit la main pour la baiser. Tibère, croyant qu’il avait voulu lui tâter le pouls, le retint, l’engagea à se remettre à table, et prolongea le festin. (7) Il observa même la coutume qu’il avait de se tenir debout, après le repas, au milieu de la salle à manger, avec un licteur à côté de lui, de recevoir ainsi les adieux de tous les convives, et de leur faire les siens.
LXXIII. Sa mort
(1) Cependant, ayant lu dans les actes du sénat, qu’on avait renvoyé, même sans les entendre, plusieurs accusés au sujet desquels il avait écrit à la hâte qu’ils étaient désignés par un dénonciateur, il frémit à la pensée qu’on le méprisait, et résolut à tout prix de regagner Caprée, n’osant rien hasarder que dans un lieu sûr. (2) Mais, retenu par les tempêtes et par le progrès du mal, il s’arrêta dans la villa de Lucullus, et y mourut peu de temps après dans la soixante-dix-huitième année de son âge, et la vingt-troisième de son règne, le dix-septième jour avant les calendes d’avril, sous le consulat de Cnéius Acerronius Proculus et de Caius Pontius Nigrinus. (3) Quelques-uns croient que Gaius lui avait donné un poison lent et subtil ; d’autres, que, dans un moment où la fièvre l’avait quitté, on lui avait refusé des aliments ; d’autres enfin, qu’on l’avait étouffé sous un coussin, tandis que, revenu à lui, il réclamait son anneau qu’on lui avait enlevé pendant sa défaillance. (4)
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