Vikings
Aymeric, lui intima-t-elle sur un ton glacial. Ôtez votre main du bras de votre Reine ou il vous en cuira, croyez-moi. J’ai à parler à mon époux d’affaires importantes et sans délai.
Le baron exécuta l’ordre d’Emma et soupira profondément. La Reine ouvrit la porte et entra dans la chambre de son mari. Raoul fut dès lors surpris en une posture bien peu royale. Une jeune créature blonde qui ne s’attendait pas à voir surgir la souveraine bondit hors du lit et courut se réfugier dans le fond de la pièce en criant puis en sanglotant.
— Très chère femme, s’exclama Raoul. Cela n’est point une manière de vous introduire dans la chambre de votre bon époux.
— Je conçois que vous ayez des affaires urgentes à traiter, répondit Emma avec ironie. Ne m’en veuillez point, il se fait que je dois aussi vous entretenir des dernières nouvelles du royaume.
De fort méchante humeur, Raoul tendit un doigt impérieux à la jeune fille pour qu’elle quitte la pièce. Vêtue d’un léger drap et dévorée de honte, l’infortunée concubine obéit à son maître et fut contrainte de passer, tête baissée, devant la reine Emma qui la toisa de tout son mépris. Sur ces entrefaites, le Roi était sorti de son lit sans se préoccuper de sa nudité. Il tapa dans les mains et un serviteur lui apporta une tunique qu’il endossa rapidement.
— Alors Emma, lâcha-t-il exaspéré, vous aviez à me parler me semble-t-il, qu’attendez-vous à présent ?
— Raoul, répondit la Reine sans se laisser démonter, vous n’ignorez pas à quel point vous m’êtes redevable de votre trône. J’exige donc que vous m’écoutiez.
Le serviteur et le baron Aymeric comprirent qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans la discussion. Ils quittèrent la pièce sans s’attarder. Raoul, lassé des sautes d’humeur de sa mie, s’assit sur le bord du lit de bois sculpté.
— Sachez, ma chère, que je dois aussi mon trône à la précision et à la force de mon coup d’épée, répondit-il avec fierté. Il m’a fallu combattre votre frère, l’intrigant Robert de Vermandois ainsi que les Hongrois et les Normands pour me hisser dans la position où je suis. Un roi est avant tout un guerrier et les femmes n’y entendent goutte dans toutes ces affaires militaires.
— Il m’arrive parfois de penser que vous ne comprenez pas la gravité de la situation, soupira Emma. Le roi Charles est emprisonné à Péronne, mais ses fidèles n’ont pas désarmé, les ennemis sont à nos portes, votre légitimité est contestée...
— Et votre ventre demeure désespérément stérile, coupa sèchement Raoul.
L’attaque était franche et un éclair de haine traversa le regard d’Emma. Elle regarda son époux en tentant, sans y réussir, de transformer sa colère en mépris.
— Votre assaut est digne de la pire des lâchetés, répondit-elle d’une voix sourde. Je dois reconnaître que les traînées qui se succèdent à belle cadence dans votre couche ne rechignent point à vous combler en bâtards. Réfléchissez, Raoul, au lieu de vous en prendre à votre plus chère alliée ; vous feriez mieux de songer à vos adversaires, de l’autre côté de la mer et aux marches de votre propre royaume.
Raoul se leva et regarda son épouse avec curiosité. Il s’approcha d’elle comme lorsque le vent se fait plus doux après la tempête.
— Parlez ma bonne, lui dit-il calmement, je vous écoute.
— Il est question d’Odgive, fit Emma qui n’attendait que de pouvoir dire ce qu’elle avait sur le coeur. La perfide épouse du couard roi Charles s’est réfugiée à la cour anglaise de son père, mais elle n’a point perdu l’espoir de reconquérir le trône de France pour son cher fils Louis. D’après mes fidèles serviteurs, il m’est revenu que la Reine cherche des alliés. Et tout naturellement, son regard se porte vers la côte normande.
Le Roi qui écoutait jusque-là attentivement eut un mouvement de mauvaise humeur. Il leva les yeux et haussa le ton en lui répondant :
— Vous voici encore avec Rollon et ses prétendus méchants desseins... Vous ne vous lassez donc jamais de revenir sur vos idées fixes ?
— Quand mon interlocuteur est aveugle, répondit-elle avec assurance, je suis contrainte de revenir sans cesse sur le même argument. Ne faut-il point être aveugle pour ne pas voir à quel point tout rapproche Odgive et Rollon ? Le Viking lui doit sa terre, sa position et sa
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