Voltaire
chapitre d'histoire, l'autre à commenter Newton. Mme du Châtelet ne pouvait supporter le plus léger bruit et il fallait sans cesse la changer de logement. « Elle fait actuellement la revue de ses principes. C'est un exercice qu'elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s'échapper et peut-être s'en aller si loin qu'elle n'en retrouverait pas un seul. »
Voltaire, par crainte de la Bastille, vivait dans un petit appartement retiré et descendait seulement la nuit, pour souper avec la duchesse du Maine, dans la ruelle du lit de celle-ci. « La princesse prenait grand plaisir à le voir et à causer avec lui. Il l'amusait par l'enjouement de sa conversation et elle l'instruisait en lui contant beaucoup d'anciennes anecdotes de cour qu'ilignorait. Quelquefois, après le repas, il lisait un conte ou un petit roman, qu'il avait écrit exprès, dans la journée, pour la divertir. » C'est ainsi que furent composés : La vision de Babouc, Memnon, Scarmentado, Micromégas, Zadig, dont il faisait chaque jour quelques chapitres.
Ces petits romans philosophiques, toujours imaginés pour prouver quelque vérité morale, étaient écrits dans un style allègre et ravissant. La duchesse du Maine les aima tant que d'autres personnes voulurent les connaître et qu'on força Voltaire à les lire à haute voix. Il lisait en grand acteur. Les contes eurent un vif succès ; ses auditeurs le supplièrent de les faire imprimer. Il s'y refusa longtemps, disant que ces petits ouvrages de société ne méritaient pas de paraître.
Une nouvelle alerte le persuada de regagner son asile de Cirey. C'était l'hiver. L'essieu de la voiture « rompit en pleine nuit et en pleine campagne. Le carrosse versa. Pendant qu'on le réparait, assis l'un près de l'autre sur des coussins au milieu de la neige. Voltaire et Mme du Châtelet regardaient la lune et les étoiles et s'entretenaient d'astronomie ». L'enfant mettait des glaçons dans le bénitier. L'homme, assis sur la neige avec sa maîtresse, contemplait avec bonheur des astres morts. Les dieux avaient semé de symboles ingénieux la vie et les amours de Voltaire.
XI
Saint-Lambert
Il y avait près de Cirey une capitale minuscule : Lunéville. Là régnait sur la Lorraine le père de la Reine de France : Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne. Sa cour, fort réduite, se composait surtout d'une maîtresse et d'un confesseur. Le confesseur, le jésuite Menou, haïssait la maîtresse, Mme de Boufflers et, vers 1749, conçut le projet de la remplacer par Mme du Châtelet. Ce n'était pas un secret dans le pays que la vieille liaison de la marquise avec Voltaire était devenue, par les maladies de celui-ci, presque platonique. Or, la dame gardait son « tempérament de feu » et, tout en souhaitant conserver son grand homme, ne semblait pas rebelle au plaisir.
Voltaire et Mme du Châtelet furent invités à faire un séjour à la cour de Lorraine, « où ils amusèrent le bon Roi Stanislas par des concerts, des fêtes et des spectacles ». Mme du Châtelet joua la comédie, la tragédie, chanta, fit la conquête de Mme de Boufflers, dont elle devint l'alliée et non la rivale, mais celle aussi de M. de Saint-Lambert, capitaine dans le régiment du Prince deBeauvau, jeune homme beau, froid, spirituel, qui faisait bien les vers et l'amour.
Un soir, Voltaire, ayant travaillé tout le jour à l'histoire de Louis XV, entra chez Mme du Châtelet sans se faire annoncer et y trouva sa maîtresse et Saint-Lambert sur un sofa, « conversant ensemble d'autre chose que de vers ou de philosophie ». Furieux il les injuria, sortit, ordonna qu'on lui trouvât des chevaux, car il voulait quitter Lunéville le soir même. Mme du Châtelet interdit aux valets de trouver des chevaux, monta chez Voltaire et l'apaisa. «Quoi? dit-il. Vous voulez que je vous croie après ce que j'ai vu ? - Non, dit-elle, je vous aime toujours, mais depuis quelque temps vous vous plaigniez que vos forces vous abandonnaient, que vous n'en pouviez plus. J'en suis très affligée. Je suis bien loin de vouloir votre mort; votre santé m'est très chère. De votre côté vous avez montré toujours beaucoup d'intérêt pour la mienne. Puisque vous convenez que vous ne pourriez continuer à en prendre soin qu'à votre grand dommage, devez-vous être fâché que ce soit un de vos amis qui vous supplée ? - Ah ! madame, dit-il, vous avez toujours raison. Mais puisqu'il faut que les choses soient ainsi, du moins qu'elles
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