Voltaire
Elle n'eût pas laissé partir Voltaire; quant à l'amener à Potsdam, il n'y fallait pas songer; Frédéric n'aimait les grenadiers que s'ils appartenaient à son propre sexe.
Cependant il voulait voir Voltaire et prépara unepremière rencontre en Belgique. Voltaire fut étonné de trouver un jeune roi en uniforme, sur un lit de camp. Tout de suite l'Europe constata que l'homme qui, avant son couronnement, avait écrit un Anti-Machiavel, serait le plus machiavélique et le plus belliqueux de tous les rois de l'Europe. Dès 1741, il envahit l'Autriche. Pour les Français, elle était alors l'ennemie héréditaire. Ils applaudirent aux succès de Frédéric et d'autant plus qu'il les faisait chanter par nos propres hommes de lettres. Voltaire se trouvait à Lille, où il faisait représenter son Mahomet que l'on n'osait jouer à Paris, quand il apprit la victoire de Molwitz, remportée par le roi de Prusse. On le vit se lever dans sa loge, papiers en main, demander le silence au public et annoncer qu'il venait de recevoir de Sa Majesté le Roi de Prusse les nouvelles de la victoire. Sa Majesté les avait envoyées en versiculets français :
De cette ville portative,
Légère, et qu'ébranlent les vents,
D'architecture peu massive,
Dont nous sommes les habitants...
Cela voulait dire : « Je vous écris sous ma tente. » Le public de Lille répondit à cette lecture par de grandes acclamations.
Voltaire crut un instant qu'il allait pouvoir se servir de cette amitié royale pour devenir, comme il l'eût tant aimé, homme d'action et diplomate. En 1743, la Cour de France était anxieuse de savoir si elle pourrait compter, pour combattre l'Autriche et l'Angleterre, sur l'appui de Frédéric II. Un ministre eut l'idée d'employer Voltaire. On l'envoya en mission secrète à Potsdam. Pour tromper Frédéric, il feignit de lui demanderrefuge, se prétendant poursuivi par l'évêque de Mirepoix, contre lequel il avait écrit une satire.
Mais Frédéric était beaucoup trop fin pour se laisser prendre à cette ruse. Il traita bien Voltaire, le présenta aux princesses pour lesquelles le poète écrivit des madrigaux, lui donna des concerts de flûte, et, tandis qu'il le cajolait, il envoya les lettres de son hôte à l'évêque de Mirepoix qu'elles attaquaient. De cette trahison, il attendait un double effet : ou Mirepoix se mettrait en colère, ferait agir la Cour et Voltaire, de nouveau exilé, serait condamné à rester en Prusse, auquel cas le roi y gagnerait d'avoir un secrétaire de génie pour corriger ses épigrammes, ou au contraire Mirepoix ne réagirait point, ce qui prouverait la collusion et la fausseté de Voltaire.
La seconde hypothèse était la bonne : on le vit bien. Aussi quand Voltaire présenta un mémoire à Frédéric II, en lui demandant de mettre des réponses dans les marges, il y trouva, quand son papier lui fut rendu, des chansons. Il demandait si l'on pouvait compter sur le roi contre l'Angleterre. « Vous voulez, répondait Frédéric...
Vous voulez qu'en Dieu de machine,
J'arrive pour le dénouement,
Mais examinez mieux ma mine,
Je ne suis pas assez méchant.
Ainsi le poète ambassadeur ne rapporta de son ambassade
que des poèmes du roi de Prusse.
1 Bellessort.
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Faveurs et malheurs
Vers la cinquantaine Voltaire, jusqu'alors traité par la Cour en opposant dangereux et à peine toléré, devint soudain courtisan et favori. Les causes de ce changement de fortune étaient multiples : cette négociation allemande où il était apparu homme important, sinon efficace, l'arrivée au pouvoir de M. d'Argenson, ministre philosophe qui avait été son condisciple à Louis-le-Grand et que les courtisans appelaient « d'Argenson la bête » parce qu'il était honnête homme, l'avènement comme maîtresse de Louis XV de Mme Lenormand d'Etioles (plus tard marquise de Pompadour) que Voltaire avait bien connue et dont il avait été le confident, enfin le désir de Voltaire lui-même. Il est, dans la vie de presque tous les hommes, un temps critique où, la vieillesse approchant, ils craignent quelque diminution de leurs pouvoirs. Ils souhaitent alors de consolider les résultats acquis et de s'appuyer désormais sur les béquilles des honneurs.
Voltaire venait d'avoir avec Mérope un succès prodigieux au théâtre. Le public, tout entier debout pour l'acclamer, avait crié à la jeune Mme de Villars :
« Madame de Villars, embrassez Voltaire ! » Cette gloire populaire ne lui suffisait
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