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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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avec sa nièce, Mme Denis. Il souhaitait l'emmener. C'était mille livres de plus et Frédéric n'en eût pas dépensé une seule pour faire venir une femme à la Cour.

    L'orgueil l'emporta sur l'argent. On dit à Voltaire qu'un méchant poète français, d'Arnaud Baculard, avait été attaché à la Cour de Frédéric, que le Roi lui avait écrit une épître comme il l'eût fait pour Voltaire lui-même, et que l'épître contenait ces vers sacrilèges :
    Déjà l'Apollon de la France
    S'achemine à sa décadence,
    Venez briller à votre tour.

    Tout de suite Voltaire écrivit au Roi :
    Ainsi dans vos galants écrits,
    Qui vont courant toute la France,
    Vous flattez donc l'adolescence
    De ce d'Arnaud que je chéris...
    Je touche à mes soixante hivers.
    Mais si tant de lauriers divers
    S'accumulent sur votre tête,
    Grand homme, est-il donc bien honnête
    De dépouiller mes cheveux blancs ?

    Ayant achevé d'écrire ces vers, il sauta à bas de son lit, criant : « Voltaire est à son couchant et Baculard à son aurore? Et c'est le Roi qui écrit cette sottise énorme ? » En chemise, gambadant de colère, il apostropha le Roi de Prusse : « Et j'irai, disait-il, oui, j'irai lui apprendre à se connaître en hommes ! » Le voyage fut décidé 1 .
    Il fallait demander à la Cour l'autorisation de partir. Voltaire exposa son affaire au ministre compétent et demanda si on ne voulait pas le charger de quelque mission pour Berlin. Le ministre lui répondit : « Aucune », le Roi lui tourna le dos, le Dauphin de même. Voltaire avait fait écrire à Louis XV par Frédéric II pour lui demander la permission de garder toujours Voltaire; le Roi grogna qu'il en était fort aise et dit à ses courtisans que c'était un fou de plus à la Cour de Prusse et un fou de moins à la sienne.
    « Tout début est aimable. » Celui de Voltaire à Potsdam fut magnifique. Il fut reçu à la porte de son carrosse par le Roi lui-même. On lui donna des fêtes où l'on joua ses tragédies et auxquelles il assista au milieu de la famille royale. Tout un peuple sur son passage murmura : « Voltaire... Voltaire... » Il eut la Croix du Mérite sur la poitrine, la clef de chambellan dans le dos, et vingt-huit mille livres de pension. Le petit groupe des familiers du Roi, gens de lettres et savants, commença de trouver ce nouveau favori fort encombrant. Il y avait là quelques Français, dont La Mettrie, de qui Frédéric disait qu'il était « son athée ordinaire », Desprades, qui avait soutenu en pleine Sorbonne que Moïse était le plus hardi des historiens, le fameux d'Arnaud Baculard, dont l'aurore se levait, mais que Voltaire éteignit tout de suite en le faisant chasser par le Roi, et surtout le savant Maupertuis, de qui Frédéric avait fait le président de son Académie des Sciences. Il était bon mathématicien, célèbre surtout pour avoir, en Laponie, mesuré les degrés du méridien dans la région polaire et en avoir rapporté deux Lapons qui avaient fait les délices des salons de Paris, pendant huit jours. Maupertuis était absent au moment de l'arrivée de Voltaire; quand il revint, il trouva installé à la Cour, une clef dans le dos et couvert de rubans, un homme de lettres qui avait commis deux crimes contre son amour-propre. Il se promit de faire cesser ce scandale. Les deux crimes de Voltaire étaient : le premier, d'avoir, dans son discours à l'Académie Française, fait une liste des grands hommes vivants et oublié Maupertuis, le second, d'être son compatriote et plus célèbre que lui.
    Rien n'est plus dangereux que les petits cercles. Les propos y tournent en rond comme les gouttes d'eau dans un tourbillon. Frédéric, comme disait d'Argens,était une coquette qui, pour conserver plusieurs amants, n'en rendait aucun heureux. Il avait fait venir Voltaire pour lui corriger ses vers français. Le cercle de Potsdam lui répéta que Voltaire avait murmuré en recevant un de ses manuscrits : « Le Roi m'envoie son linge sale à blanchir. » Le cercle en même temps rapportait à Voltaire que le Roi avait dit : « J'aurai besoin de lui encore un an; on presse l'orange puis on jette l'écorce. » Sur quoi Voltaire se compara à Platon à la cour du tyran Denys. « Et Platon, ajoutait-il, ne perdait pas son temps à corriger de mauvais vers. » Mot qui, à son tour, fut redit et commenté.
    Les rapports du Roi et de son hôte tournèrent à l'aigre. Voltaire, qui aimait les affaires, n'avait pu se retenir de spéculer en

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