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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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de toute biographie un peu subtile. «Nous pensons, dit Valéry, qu'un homme a pensé, et nous pouvons retrouver entre ses œuvres cette pensée qui lui vient de nous ; nous pouvons refaire cette pensée à l'image de la nôtre. »

    Voilà en effet toute la vérité; nous pouvons refaire une pensée à l'image de la nôtre et nous n'avons à peu près aucun autre moyen de refaire une pensée. Valéry explique ensuite fort bien que c'est pour cela qu'il nous est facile de reconstituer un homme ordinaire, dont les mobiles et les idées ont été à peu près les nôtres, tandis que, s'il s'agit d'un homme qui a excellé en quelque point, nous avons bien plus de mal à nous figurer la marche de son esprit. Il explique ensuite qu'ayant créé de toutes pièces une certaine idée d'un homme de génie, il chercha le nom qui lui conviendrait le mieux et qu'aucun ne lui parut mieux adapté à l'homme qu'il avait conçu que celui de Léonard de Vinci. Pour Valéry, le personnage se réduit donc à une coïncidence, mais il trouve ce modèle d'une vie intellectuelle supérieur à une suite d'anecdotes douteuses, de commentaires, de lettres et de dates. « Une telle érudition, dit-il, ne ferait que fausser l'intention toute hypothétique de cet essai. Elle ne m'est pas inconnue, mais j'ai surtout à ne pas en parler. »
    Cela, c'est le cas extrême, celui qui serait le nôtre si nous disions, par exemple : « Je veux écrire l'histoire d'un romancier qui forge lui-même sa personne morale à l'aide de ses romans. Il se trouve que ce romancier s'appelle George Meredith. Mais c'est une simple coïncidence et ce qui nous intéresse vraiment, c'est un romancier théorique, et non pas l'homme George Meredith.» Il faut être Valéry pour avoir à la fois l'audace et le droit de poser le problème de l'histoire sous cette forme abstraite, mais tout biographe qui se cherche lui-même se rapproche un peu, qu'il le veuille ou non, d'un état d'esprit analogue.
    Un jeune écrivain français, auquel un éditeur demandait une Vie pour une collection de biographies, répondit : « Volontiers, mais je ne sais pas l'histoire. Choisissez vous-même un personnage. Je veux seulement que ce soit un homme ou une femme qui ait toujours eu le désir d'imprimer à sa vie une certaine direction, et toujours aussi se soit heurté comme à une porte fermée. » Là encore nous trouvons à l'état pur le besoin d'exprimer qui pénétrera le sujet choisi de cette passion souterraine, seule capable peut-être d'une œuvre d'art.
    Je vois très bien, croyez-le, combien ce type de biographie pourrait devenir dangereux. Par désir de s'exprimer, de s'expliquer, par sympathie ou antipathie pour un personnage (car le sentiment fort peut être antipathie, voyez Strachey), le biographe passionné risque de défigurer involontairement la vérité historique. Dans la mesure où il le fait, le genre est condamné et Nicolson a raison: «Subjectivité inadmissible. » Avant tout l'histoire (ou ce que nous en croyons savoir) doit être respectée. Publier une biographie, l'annoncer comme biographie, non comme roman, c'est annoncer des faits véridiques et un biographe doit à son lecteur la vérité avant tout. Il n'a pas le droit de construire un héros suivant ses désirs ou ses besoins. Il n'a pas le droit d'inventer des conversations, des incidents. Il n'a pas le droit d'omettre certains faits parce qu'ils rendent ses constructions psychologiques difficiles, mais il semble possible, dans certains cas (d'ailleurs rares), sile choix est heureux et bien adapté à la nature de l'auteur, que le biographe puisse exprimer quelques-uns de ses propres sentiments sans déformer ceux de son héros.
    Mais cette identité des deux tempéraments est naturellement peu commune, et peu de héros aussi se prêtent à un tel traitement. On peut difficilement imaginer l'homme qui écrirait par cette méthode la vie du duc de Wellington et moins encore celle de Henry VIII. Mais si cette totale adaptation, cette confusion de l'auteur et du héros sont rares, je crois presque impossible d'écrire une biographie sans que, par certains côtés et à certains moments, le biographe s'efforce de sentir comme son héros. Autrement comment le comprendrait-il? Déjà dans l'antiquité Tite-Live avait posé la règle : Antiqua scribenti antiquus fit animus. L'âme de celui qui écrit une Vie de Carlyle devient, au moins par moments, semblable à celle de Carlyle. S'il est incapable d'une

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