Voyage au Congo
fait qu’augmenter. Comme supplément de corvée, c’est d’abord le recrutement de nombreux travailleurs pour les travaux de la route, le passage de la relève et de son matériel, un convoi de cartouches qui doit être enlevé en une seule fois, enfin le transport du « d’Uzès ». À cela il faut ajouter des demandes de vivres plus importantes et plus fréquentes, à ces indigènes qui n’ont même pas le nécessaire pour subvenir à leurs propres besoins. Tous ces efforts sont demandés en pleine saison des pluies et au moment où l’indigène a le plus besoin de s’occuper de ses cultures.
« Si nous compulsons les rapports de nos prédécesseurs, nous y trouvons qu’en 1901, 1902 et 1903 un repos de deux mois avait été laissé aux Mandjias pour leur permettre de s’occuper de leurs plantations. Cette année, rien… aucun repos. Ces malheureux meurent de faim et de fatigue ; n’étant jamais chez eux, ils ne peuvent faire de plantations.
« Cet état de choses a été maintes fois exposé dans les rapports de M. l’Administrateur Bruel, commandant de la région, et de mes prédécesseurs MM. Thomasset, de Roll, et Toqué.
« Nous ne sortirons de cette fausse situation qu’en poussant activement les travaux de la route et en commandant sans retard en France le matériel nécessaire aux transports et devant supprimer le portage {28} . »
« Il le fallait… » J’ai souligné plus haut ces mots tragiques.
Il le fallait, pour l’entretien, la subsistance des postes de l’intérieur. Il le fallait, sous peine de laisser péricliter l’œuvre entreprise, et de voir tourner à néant le résultat d’immenses efforts. Le service d’autos, régulièrement organisé, qui rend aujourd’hui le portage inutile, c’est ce portage même, et ce portage seul qui d’abord l’a permis ; car ces autos, il fallait les transporter là-bas, et seuls ont pu les faire parvenir à destination des navires qu’il fallait transporter, démontés, à dos d’hommes, au Stanley-Pool, par-delà les premiers rapides du Congo tout d’abord, puis dans le bassin du Tchad. Ce régime affreux, mais provisoire, était consenti en vue d’un plus grand bien, tout comme les souffrances et la mortalité qu’entraîne nécessairement l’établissement d’une voie ferrée. Le pays entier, les indigènes mêmes, en fin de compte et en dernier ressort, en profitent.
L’on ne peut en dire autant du régime abominable imposé aux indigènes par les Grandes Compagnies Concessionnaires. Au cours de notre voyage, nous aurons l’occasion de voir que la situation faite aux indigènes, aux « Saigneurs de caoutchouc », comme on les appelle, par telle ou telle de ces Compagnies, n’est pas beaucoup meilleure que celle que l’on nous peignait ci-dessus ; et ceci pour le seul profit, pour le seul enrichissement de quelques actionnaires.
Qu’est-ce que ces Grandes Compagnies, en échange, ont fait pour le pays ? Rien {29} . Les concessions furent accordées dans l’espoir que les Compagnies « feraient valoir » le pays. Elles l’ont exploité, ce qui n’est pas la même chose ; saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide {30} .
« Ils traitent ce pays comme si nous ne devions pas le garder », me disait un Père missionnaire.
Il n’y a plus ici d’il le fallait qui tienne. Ce mal est inutile et il ne le faut pas.
Par ses plantations de céaras qui permettent aux indigènes de se soustraire aux exigences des Compagnies (puisque celles-ci n’ont pas droit au caoutchouc de culture, mais seulement à celui de brousse), le Gouverneur Lamblin a rendu aux indigènes, et, partant, à la colonie, un aussi grand service que par l’établissement de son réseau routier.
Je lis à l’instant le rapport de M. D. R., président du conseil d’administration de la Société du Haut-Ogooué (assemblée ordinaire du 9 novembre 1926). Je n’ai pas circulé au Gabon et ne connais la lamentable situation du pays que par ouï-dire. Je ne sais rien de la Société du Haut-Ogooué et veux la croire à l’abri de tous reproches, de tous soupçons. Mais j’avoue ne rien comprendre à ces quelques phrases du rapport :
« Un redressement momentané du marché nous a permis de poursuivre nos opérations, et nous nous en sommes réjouis, car sans cette source d’activité économique, la seule existant dans ces régions, nous nous demandons avec anxiété ce que deviendrait le
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