Voyage au Congo
M. Griveau, l’administrateur chez qui nous dînons. La tornade nous surprend au moment où nous traversons cet espace. Elle est si violente qu’emportés à demi par le vent, aveuglés par les éclairs et par l’averse, nous nous trouvons séparés Marc et moi, comme dans un film de Griffith, et, tout submergés, ne parvenons à nous rejoindre qu’au poste.
Adoum et Outhman, qui ont retrouvé ici des amis d’Abécher, demandent, à notre retour, une permission de nuit et s’en vont festoyer dans le village arabe, sur l’autre rive de la Nana. Nous ne les entendons pas rentrer ; mais, au petit jour, ils sont à l’œuvre, cuisant le pain, repassant notre linge, etc.
Fort-Sibut, 16 octobre.
Violente tornade à mi-route. Les changements de paysage (je veux dire : de l’aspect du pays) sont très lents à se produire ; sinon à l’approche du moindre cours d’eau, marigots, dévalements, où reparaissent soudain les très grands arbres à empattements, à racines aériennes, l’enchevêtrement des lianes, et tout le mystère humide du sous-bois. Durant de longs espaces, entre deux « galeries forestières », les bois peu élevés, les taillis, sont à ce point couverts de plantes grimpantes, qu’on ne distingue plus qu’une sorte de capiton continu. Ces intumescences vertes ne s’interrompent que pour faire place à des cultures de maïs ou de riz, lesquelles dégagent le tronc des arbres demeurés abondants parmi la culture ; quantité de ces arbres sont morts, d’une mort qui ne semble pas toujours due à l’incendie. Même dans les marigots, de larges groupes d’arbres morts m’intriguent. Leur écorce, souvent, est complètement tombée, et l’arbre prend l’aspect d’un perchoir à vautours. Je doute si, dans quelques années, ce déboisement continu, systématique et volontaire, ou accidentel, n’amènera pas de profonds changements dans le régime des pluies.
Toujours des saluts enthousiastes de femmes et d’enfants à la traversée des villages. Tous accourent ; les enfants s’arrêtent net sur le rebord du fossé de la route et nous font une sorte de salut militaire ; les plus grands saluent en se penchant en avant, comme on fait dans les music-halls, le torse un peu de côté et rejetant la jambe gauche en arrière, montrant toutes leurs dents dans un large sourire. Lorsque, pour leur répondre, je lève la main, ils commencent par prendre peur et s’enfuient ; mais dès qu’ils ont compris mon geste (et je l’amplifie de mon mieux, y joignant tous les sourires que je peux) alors ce sont des cris, des hurlements, des trépignements, de la part des femmes surtout, un délire d’étonnement et de joie que le voyageur blanc consente à tenir compte de leurs avances, y réponde avec cordialité.
17 octobre.
Lever dès 4 heures. Mais il faut attendre les premières lueurs de l’aube pour partir. Que j’aime ces départs avant le jour ! Ils n’ont pourtant pas, dans ce pays, l’âpre noblesse et cette sorte de joie farouche et désespérée que j’ai connue dans le désert.
Retour à Bangui vers 11 heures.
APPENDICE AU CHAPITRE III
Le réseau routier établi en Oubangui-Chari par le Gouverneur Lamblin, depuis qu’il a pris en main la direction de la colonie en 1917, est de 4 200 kms.
Au Gabon, le grand nombre de Gouverneurs qui s’y sont succédé, n’a pas su donner à cette colonie plus de 12 kms de routes (praticables pour l’automobile). Aussi voyons-nous sévir encore dans cette contrée les obligations du portage.
Je sais bien que le Gouverneur Lamblin a été particulièrement servi par la nature du terrain et le peu de relief du sol. Mais, quoi que ce soit de grand que l’homme entreprenne, il peut sembler toujours, après l’accomplissement, avoir été « servi » par quelque chose. Le plus remarquable, dans cet énorme travail entrepris, c’est qu’il a été mené à bien sans l’assistance des ingénieurs, agents-voyers, etc. {27} Les budgets très restreints de la colonie ne pouvaient faire face aux dépenses qu’auraient entraîné les conseils et la direction des techniciens. J’admire le Gouverneur Lamblin pour avoir fait confiance aux indigènes et s’être persuadé qu’ils pourraient suffire aux difficiles travaux qu’il leur proposait. Les équipes qu’il a formées ont fait leurs preuves ; elles ont montré que l’ingéniosité et l’industrie des noirs savent être à la hauteur d’un travail dont ils
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