Voyage au Congo
dans ma chambre malgré les nattes que je mets devant ma fenêtre, les journaux au-dessus des portes.
Sitôt après avoir achevé la relecture d’ Iphigénie, je l’ai reprise. Je l’achève aujourd’hui, et voudrais la reprendre encore, dans un émerveillement grandissant. Il me paraît aujourd’hui que cette pièce est aussi parfaite qu’aucune autre et ne le cède en rien à ses sœurs ; mais sans doute n’en est-il point qu’il soit plus difficile de bien jouer. Aucun rôle n’en peut être laissé dans l’ombre et ne supporte d’être sacrifié. L’on pourrait même dire qu’il n’y a pas un premier rôle, et que tour à tour c’est Iphigénie, Agamemnon, Clytemnestre, Achille et Ériphile que l’on souhaite de voir le mieux interprété.
Caractère d’Agamemnon, admirablement vu par Racine. La réponse honteuse à Arcas, lorsque celui-ci craint qu’Achille ne proteste de voir Agamemnon abuser ainsi de son nom, et, somme toute, faire un faux :
… Achille était absent.
Et, jusque dans le détail, cette irrésolution, ces retours :
VA, dis-je, sauve-la de ma propre faiblesse
Mais surtout NE VA POINT… etc.
Et cette lâcheté,
… D’une mère en fureur épargne-moi les cris.
17 janvier.
Descente (j’allais dire : remontée) du Chari – cet étrange fleuve qui tourne le dos à la mer. Un peuple est assemblé sur la rive quand nous quittons Archambault.
Le d’Uzès flanqué de quatre baleinières. J’occupe, avec Marc, celles de tribord. Nous embarquons vers trois heures, par une température torride.
5 heures.
De grandes bandes d’un sable d’or, brûlante pureté, rapiécées de loin en loin par des étendues de prairies – pacages pour hippopotames et buffles.
18 janvier.
Le d’Uzès s’arrête non loin d’un extraordinaire soulèvement de grands boulders granitiques. C’est là qu’a succombé la mission Bretonnet. Bien que le soleil soit près de se coucher, je ne puis résister au désir de m’approcher de ces étranges roches (que d’abord je croyais de grès). J’entraîne mes compagnons dans une marche précipitée, traversant un terrain sablonneux très fatigant, puis des marécages. Je gravis une des hauteurs – mais mes compagnons m’attendent, et déjà la nuit tombe.
19 janvier.
Paysage « pour lions ». Petits palmiers doums ; brousse incendiée. Férocité admirable.
Chasse à l’antilope. Coppet en tue trois énormes.
Les belles zébrures des crocodiles.
Je n’ai le temps ni le désir de rien noter. Complètement absorbé par la contemplation.
20 janvier.
Le paysage, sans changer précisément d’aspect, s’élargit. Il tend vers une perfection désertique et se dépouille lentement. Pourtant beaucoup d’arbres encore, et qui ne sont pas des palmiers ; parfois ils s’approchent de la rive, lorsque le sol plus haut les met à l’abri de l’inondation périodique. Ce sont des arbres que je ne connais pas ; semblables à de grands mimosas, à des térébinthes.
Puis apparaissent les petits palmiers doums, au port de dracenas, et pendant quelques kilomètres il n’y en aura plus que pour eux.
Mais la faune, plus que la flore encore, fait l’intérêt constant du paysage. Par instants les bancs de sable sont tout fleuris d’échassiers, de sarcelles, de canards, d’un tas d’oiseaux si charmants, si divers que l’œil ne peut quitter les rives, où parfois un grand caïman, à notre passage, se réveille à demi pour se laisser choir dans l’azur.
Puis les rives s’écartent ; c’est l’envahissement de l’azur. Paysage spirituel. L’eau du fleuve s’étend comme une lame.
Je vais devoir jeter la boîte de coléoptères récoltés pour le muséum. J’avais cru bon de les faire sécher au soleil ; ils sont devenus si fragiles qu’il n’en est plus un seul qui ait gardé ses membres et ses antennes au complet.
Fréquents enlisements ; l’équipage descend, ayant de l’eau jusqu’à mi-corps, et pousse le navire comme il pousserait une auto. La délivrance occupe parfois plus d’une heure. Mais dans un paysage si vaste et si lent, on ne souhaite pas d’aller vite.
Un énorme crocodile, très près du navire. Deux balles. Il cabriole dans le fleuve. Nous stoppons. Puis retournons en baleinière sur les lieux. Impossible de le retrouver. Les animaux que l’on tue ainsi plongent aussitôt, et ne reparaissent à la surface que quelques heures plus tard.
Au crépuscule et déjà
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