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Voyage au Congo

Titel: Voyage au Congo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Gide
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l’aurais-je attrapée ?
    – Mais, sans doute à Fort-Crampel, cette nuit où tu as été faire la noce. (Et Labarbe avait calculé qu’il s’était écoulé tout juste le temps nécessaire pour permettre réclusion des bubons.)
    – Je n’ai pas fait la noce du tout. Je vous l’avais dit d’abord.
    – Mais, ensuite, tu nous as dit toi-même que, cette nuit-là, tu avais été avec une femme.
    – J’ai dit ça parce que vous aviez l’air d’y tenir. On me répétait que j’avais sûrement fait la noce. Je ne pouvais pas dire : non ! On ne m’aurait pas cru.
    Cette petite histoire ne persuadera personne et ne servira qu’à m’enfoncer dans cette conviction : que l’on se blouse tout aussi souvent par excès de défiance que par excès de crédulité.
    28 janvier.
     
    Abandonnant Marcel de Coppet à ses nouvelles fonctions, nous décidons de descendre le Chari jusqu’au lac Tchad. En partant demain sur le d’Uzès, nous pourrons être de retour à Fort-Lamy dans quinze jours.
    30 janvier.
     
    Paysage sans grandeur. Je m’attendais à trouver desrives sablonneuses et déjà la désolation du désert. Mais non. Quantité d’arbres de taille moyenne agrémentent médiocrement les bords du fleuve, de leurs masses arrondies.
     
    Après m’être étonné de ne pas voir plus de crocodiles, en voici tout à coup des quantités incroyables. J’en compte un groupe de 37 sur un petit banc de sable de cinquante mètres de long. Il y en a de toutes les tailles ; certains à peine longs comme une canne ; d’autres énormes, monstrueux. Certains sont zébrés, d’autres uniformément gris. La plupart, à l’approche du navire, se laissent choir dans l’eau lourdement, s’ils sont sur une arène en pente. S’ils sont un peu loin du fleuve, on les voit se dresser sur leurs pattes et courir. Leur entrée dans l’eau a quelque chose de voluptueux. Parfois, trop paresseux ou endormis, ils ne se déplacent même pas. Depuis une heure nous en avons vu certainement plus d’une centaine.
     
    Arrivés trop tard à Goulfeï (Cameroun) ; mais peut-être, de plein jour, notre visite au sultan nous eût-elle laissé de moins extraordinaires souvenirs. La nuit est close quand nous franchissons la porte de la ville, entièrement ceinte de remparts. Devant nous, un long mur droit, présentant un unique trou noir par où, précédés de quelques chefs soumis au sultan, nous pénétrons dans de mystérieuses ténèbres. Puis, entre deux murs de terre assez hauts, une rue étroite comme un corridor, sinueuse et sans cesse brisée. On distingue parfois une ombre s’effacer dans une embrasure de porte ; elle porte la main à la tête et murmure une salutation. Un instant la rue s’élargit ; des claies de ramures couvrent une sorte de vestibule où des gens se tiennent assis. Qu’il doit y faire bon durant les chaudes heures du jour ! Plus loin les murs s’ouvrent ; c’est une place. Un grand arbre abrite l’entrée du palais.
    Les présentations avaient eu lieu, indistinctement, dans la rue étroite. Nous pensions remettre à notre retour la visite, et déjà nous nous étions fait excuser d’arriver si tard. (J’ai le plus grand mal à ne pas être trop courtois, et même un peu plat, devant un chef musulman ; la noblesse de son allure, du moindre de ses gestes m’en impose plus que les titres les plus ronflants.) Mais le sultan insiste, et, la curiosité nous poussant, nous le suivons à travers une suite de petites salles et de couloirs ; tout cela dans l’obscurité. Enfin un serviteur apporte une lanterne. Nous pouvons voir que plusieurs des petites salles que nous traversons ont des murs glacés, comme enduits de stuc, et couverts de peintures, d’ornements, rudimentaires mais d’assez bel aspect. Nous parvenons dans une salle, à peine un peu plus grande que les autres, où sont quelques chaises. Le sultan nous invite à nous asseoir et s’assied lui-même. À ma gauche, près de l’entrée, s’accroupit un superbe enfant de quinze à seize ans ; c’est le fils du sultan. Le capitaine du Jacques d’Uzès nous sert d’interprète. Nous échangeons de vagues compliments à l’arabe, puis prenons congé de notre hôte, nous proposant de revenir dans le village, lorsque la lune se sera levée.
     
    Que dire de cette promenade nocturne ? Rien de plus étrange, de plus mystérieux que cette ville. De-ci de-là, sur des places, au détour des rues, d’admirables arbres, vénérés

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