Voyage au Congo
sans doute, du moins préservés. Les murs d’enceinte présentent, à l’intérieur, un chemin de ronde, puis dévalent en pente rapide mais accessible. Une grande place, et un fort à demi ruiné. Tout cela fantastique, au clair de lune. Par-dessus les murs deshabitations, on distingue des toits en coupoles. Nous abordons au pas d’une porte quatre adolescents ; ce sont d’autres fils du sultan. Ils nous accompagnent assez longtemps. Nous devons tourner, sans nous en douter, car après un quart d’heure de marche, nous nous retrouvons devant leur demeure, où nous les laissons.
31 janvier.
Un vent très froid. Ce matin quelques grosses tortues dressent leurs têtes hors du fleuve, dans le sillage du navire que, quelques instants, elles poursuivent. Les rives, beaucoup plus vertes, sont couvertes de petits buissons épineux.
Je n’ai pas dit qu’hier, durant un arrêt de quatre heures (on devait « faire du bois », car il n’y en avait pas de préparé) – nous sommes partis chasser dans la brousse. Quantité incroyable de pintades. Nous en rapportons sept et en perdons trois, blessées, mais que nous ne pouvons rattraper. Brousse peu boisée ; grands espaces à demi découverts, de terre nue semée de mimosas cassies. Troupeau de grandes antilopes.
Bizarre aspect des barques de pêche : grandes pirogues en maints morceaux de bois reliés entre eux avec des lianes et des ficelles, car le pays n’offre plus aucun arbre assez grand pour y creuser l’esquif. L’arrière de ces barques est fortement relevé, de manière à servir de point d’appui pour un grand filet tendu entre deux longues antennes ; un système de contrepoids permet de plonger le filet dans le fleuve et de le relever sans effort.
1 er ou 2 février.
Arrêtés hier dès deux heures de l’après-midi près d’un village au bord du fleuve (rive droite). Un peuple d’enfants sur la rive ; mais tous s’enfuient dès qu’ils nous voient approcher. Village assez misérable. Beaucoup de teinturiers d’indigo (comme aux précédents).
Les femmes tapent avec un bâton sur les fruits du palmier doum afin d’amollir la pulpe ligneuse que l’on chique comme du bétel. La récolte de mil a été très insuffisante ; on pressent une grande disette.
La chaleur, la lumière surtout, est accablante. J’attends le soir pour m’avancer dans le pays. Marc étant parti avec Outhman pour photographier, Adoum étant parti à la chasse avec un garde, je vais seul, malgré les recommandations. Une admirable lueur orangée se répand obliquement sur le vaste verger naturel où je m’avance avec ravissement. Les sentiers suivis par les troupeaux de bœufs, richesse du pays, forment un réseau sur le sol. Quantité d’oiseaux, que le soir enivre. J’imagine ces buissons, à présent secs pour la plupart, verdissant au printemps, fleurissant, s’emplissant de nids, de vols d’abeilles, le sol se couvrant d’herbe fraîche et de papillons…
Nous sommes repartis dans la nuit – vers deux ou trois heures du matin, le capitaine souhaitant profiter du clair de lune. Nous dormions profondément à l’entrée du lac ; et, me fussé-je levé, par cette lumière insuffisante je n’eusse pu voir à mon gré le changement de la végétation. Mais le vent s’est mis à souffler et nous a forcés de nous arrêter, de sorte que bientôt nous avons perdu cette inutile avance – dont le seul effet a été d’escamoter ce que surtout je souhaitaisvoir. Le vent jetait contre nous de petites vagues précipitées, qui, coincées entre les baleinières et le bateau, jaillissaient en geyser et balayaient le pont. En un instant tout fut trempé. En hâte nous avons rassemblé tout l’épars, replié les lits. Le petit navire dansait si fort qu’une table cabriola les pieds en l’air ; désarroi des grands naufrages. Et ce, avec un mètre cinquante de fond. La danse des baleinières à nos côtés était presque terrifiante et la violence de leurs chocs contre la coque du d’Uzès. Nous nous sommes hâtés de chercher un abri provisoire entre deux vastes massifs de papyrus et d’une sorte de carex énorme {76} .
C’est dans ce havre précaire que j’écris. Devant moi s’ouvre, sous un ciel uniformément bleu, une étendue d’eau illimitée, glauque comme une mer du Nord. À mes côtés, un bouquet de grands papyrus, surgis de l’eau, très beaux, encore qu’ils soient fanés pour la plupart – très « palmiers
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