Voyage en Germanie
Tu es Falco ? J’aimerais discuter avec toi.
Elle me mena à l’intérieur du soubassement de la tour. C’était une salle octogonale nue, d’où partaient des marches desservant plusieurs étages, bâties en colimaçon le long des murs intérieurs faits de briques bien alignées, à la romaine. Le diamètre allait décroissant à chaque étage de façon à garantir la stabilité de l’édifice, mais seul le dernier était pourvu d’un plancher, puisqu’à l’origine seul le toit à ciel ouvert avait été bâti pour servir. C’était là, quelques aménagements aidant, que vivait la prophétesse. Elle ne m’invita pas à monter.
Voyant qu’elle fronçait les sourcils, je tâchai d’avoir l’air compréhensif en lui demandant : — Dois-je comprendre que Luna a reparu prématurément ?
Je ne me trompais pas. Veleda n’avait pas encore pris de décision. L’hésitation la ligotait tel un filet de pêche.
— J’ai deux choses à te dire. (Elle parlait d’un ton précipité, comme sous la contrainte.) J’ai donné mon accord pour que vous partiez. Allez-vous-en ce soir. Personne ne vous en empêchera.
— Merci. Et la deuxième chose ?
— La mort de Munius Lupercus.
— Alors comme ça, tu es au courant ? Une femme vivant parmi les Ubiens m’a dit le contraire.
— Je le suis à présent, répliqua-t-elle froidement.
Manifestement, les deux femmes avaient moins d’atomes crochus que Claudia Sacrata se l’était imaginé. Veleda me tendit un petit bout de tissu écarlate plié. Dedans se trouvaient deux autres babioles tirées de la vitrine d’objets exotiques de la prophétesse : des flèches d’argent telles que les légats s’en voient décerner par l’empereur en récompense de leurs services. Lupercus en aurait probablement reçu une troisième à l’issue de son séjour fatal à Vetera.
— Il est donc bel et bien venu ici ?
— Il n’a jamais mis les pieds ici. (Elle avait retrouvé son assurance habituelle, sans doute soulagée de pouvoir reprendre un peu de distance par rapport à cette sordide histoire.) On m’a apporté ces flèches plus tard. Cela me fait plaisir que tu puisses les rendre à la mère ou la femme de cet homme.
Je la remerciai, puis elle m’expliqua ce qui était arrivé. Veleda elle-même semblait abattue en terminant. Les légats ne m’inspiraient aucune compassion, mais ce récit me refroidit.
— As-tu révélé cela au tribun Camillus ?
— Non.
Je comprenais pourquoi. Elle avait établi un pacte amical avec Justinus. Cette histoire risquait de le réduire à néant.
Civilis avait envoyé Munius Lupercus traverser le pays avec ce que Veleda décida d’appeler un groupe mixte, composé d’hommes de diverses tribus. Je ne la questionnai pas plus sur le sujet : elle avait raison de ne pas prêter le flanc aux reproches. Le légat avait été blessé ; il avait perdu son fort et vu sa légion se faire massacrer ; il avait cru que l’Empire se désintégrait aussi. Qu’il ait imploré la liberté ou la mort, ou que ses gardes aient tout simplement perdu patience tant ils aspiraient à rejoindre Civilis au combat, toujours est-il qu’ils se mirent subitement à traiter Lupercus de lâche. Ils le gratifièrent ensuite du traitement qu’ils réservaient aux lâches : dépouillé de ses vêtements, ligoté, à demi garrotté, jeté dans un marécage et harcelé de coups de bâton jusqu’à ce qu’il se noie.
Je rendrai cette justice à Veleda : elle semblait éprouver autant de répugnance à raconter cette histoire que moi à l’entendre.
— Ils m’avaient dépossédée de mon cadeau, du coup la vérité a mis longtemps à émerger.
J’enfouis le menton au creux de ma main.
— Cette vérité-là méritait de rester immergée avec lui au fond du marécage.
— Si j’étais sa mère ou sa femme, reprit Veleda, je souhaiterais savoir.
— Ma mère et ma future femme de même, mais elles sont exceptionnelles, comme toi…
Elle changea de sujet :
— C’est tout ce que je peux te dire. Tes hommes et toi devrez partir discrètement : je ne tiens pas à insulter le chef qui vous a amenés en échangeant trop ouvertement son cadeau.
— Où est Camillus ? demandai-je d’un ton soupçonneux.
— Au-dessus. Il y a encore des choses que je veux discuter avec lui. (Veleda s’interrompit, comme si elle lisait dans mes pensées.) Bien entendu, ajouta-t-elle doucement, ton ami viendra vous dire adieu.
En désespoir de cause, j’insistai
Weitere Kostenlose Bücher