Voyage en Germanie
n’importe quelle autre embarcation sur cette voie d’eau, mais il était dans un état douteux, nous manquions d’hommes, et aucun de nous ne connaissait le navire, sans parler de la rivière sur laquelle nous nous apprêtions à naviguer. Un groupe de gars remonta la berge à pas de loup, transperçant le flanc des bateaux qui risquaient de nous donner la chasse, mais le bruit alarma Helvetius et nous les rappelâmes.
Nos gars étaient dans leur élément. Ils savaient tous naviguer et ramer. Enfin, tous sauf Lentullus. Lentullus restait notre cas problématique qui ne savait rien faire.
Le ciel commençait à éclaircir : je perdais espoir.
— Helvetius, si Camillus n’est toujours pas là dans un moment, embarque les gars et filez d’ici.
— Tu ne redescends quand même pas à terre ?
— Je ne veux pas l’abandonner.
— Laisse tomber l’héroïsme, Falco. Le voilà !
Je l’avoue, j’en fus ébahi.
Nous avions libéré le navire de ses amarres puis jeté l’ancre à nouveau dans le chenal. Probus attendait dans un canot au pied de la jetée pour ramener le tribun. L’ancre déjà relevée, nous hissâmes les deux hommes à bord.
— C’est la guerre ?
— Non, la paix.
Il faisait trop sombre pour que je distingue le visage du tribun.
Sans un mot de plus, Justinus gagna la poupe. Je regardai ses épaules crispées s’éloigner puis, d’un signe, enjoignis aux autres de ne pas l’importuner. Il s’installa dans un recoin sombre, adossé contre la cabine du général, le regard braqué vers l’arrière et la rive. Son petit chien se coucha à ses pieds et se mit à geindre, sentant la tristesse. À la vue de la posture accablée du tribun, ma gorge se serra.
Nous avions fort à faire. Pour commencer, nous laissâmes le navire dériver au fil du courant, sans bruit. Le jour augmentant, les dégâts causés par une année d’abandon apparurent clairement. Bientôt, la moitié de notre équipage se retrouva en train d’écoper pendant qu’Helvetius jurait en tâchant de réparer une pompe de cale désamorcée, machine jadis moderne, si moderne que ce temps d’inactivité avait eu complètement raison du bois et de la membrane en peau.
Nous continuâmes à dériver, sans que rien n’indique qu’on nous pourchassait. Ascanius et Sextus trouvèrent les voiles. Le cuir en était raidi au point qu’on pouvait à peine les manier, mais nous les foulâmes aux pieds pour les aplatir le mieux possible. Le plus petit foc triangulaire ne tarda guère à être hissé, mais il fallut beaucoup plus de temps pour installer la grande voile carrée. Nous nous aperçûmes alors que nous naviguions beaucoup trop près de la berge. Un Liburne représente un grand vaisseau pour une bande de novices, dont certains sont en plus abrutis, mais je continuai à hocher négativement la tête lorsque les regards se tournaient vers la poupe.
— Le tribun pourrait bien donner un coup de main, là !
— Le tribun en a assez fait.
— Dis, Falco…
— Il a besoin de ruminer. Laissez-le tranquille !
Tous les autres membres de l’équipage vinrent prêter main-forte du côté dangereux : nous réussîmes à rentrer les avirons juste à temps pour éviter de les fracasser, puis retînmes notre souffle pendant que le navire raclait et heurtait les hauts-fonds. Sans trop savoir comment, nous réussîmes à le faire virer pour le ramener à la profondeur. Vaille que vaille, il continua à se traîner dans la lumière grise de cette froide matinée de novembre, et nous passâmes une heure de plus à travailler la voile. Finalement, elle fut hissée en place avec un hourra plein de lassitude. On se rua ensuite de plus belle sur les écopes, puis nous inspectâmes le navire.
À l’exception des javelines, nous n’avions aucune arme, et peu de vivres. Seuls, deux d’entre nous avaient une cuirasse. Nous avions sauvé quatre chevaux… qui risquaient fort de finir rôtis. Plus d'argent à échanger. Les Bructères sur la rive nord, les Tenctères sur la rive sud, l'une et l'autre tribus n'ayant que faire de Romains en désarroi. Débarquer nous serait fatal tant que nous n’aurions pas rejoint le fleuve Rhenus, qui devait se trouver à une semaine d’ici. À voir la façon dont notre vaisseau gîtait et se traînait, la semaine en question promettait d’être rude.
Mais nous étions en vie et libres. Cette surprise était si heureuse que nous postâmes la moitié des gars aux avirons pendant que le reste
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