Voyage en Germanie
stationnée là, le préfet sortait de ses rangs.
Il occupait un bureau dont les proportions surdimensionnées devaient flatter sa personnalité sous-développée. Je l’y trouvai, en train de lire des papyrus et d’écrire diligemment. Son coin était aménagé avec un dépouillement intentionnel. Il se servait d’un tabouret pliant à l’armature rouillée et d’une table de campagne qui avait l’air rescapée d’Actium. L’ensemble étant supposé donner l’impression que le maître des lieux aurait préféré être en campagne sur le terrain. À mon avis, si Rome avait l’intention d’honorer une quelconque réputation militaire, il faudrait laisser les hommes tels que celui-ci dans les camps… bâillonnés, ligotés et rivetés au sol.
— Sextus Juvenalis ? Je suis Didius Falco. L’envoyé de Vespasien.
— Oh ! on m’a dit que je ne sais quel cloporte avait pointé la tête hors d’un trou du Palatin !
Il écrivait à la plume. Comme de bien entendu.
Il posa méticuleusement sa plume sur l’encrier de façon à éviter qu’elle ne goutte, et me sauta dessus.
— D’où tu sors, toi ?
Je supposai qu’il ne s’attendait pas à ce que je lui parle de mes tantines de Campanie.
— Service national dans l’habituelle province paumée, puis cinq ans en tant qu’éclaireur.
— Toujours sous l’uniforme ?
La vie militaire était l’aune à laquelle ce type mesurait tout. Je l’imaginais bien, barbant tout le monde jusqu’à la gauche avec ses affirmations obstinées comme quoi les valeurs traditionnelles, l’équipement d’autrefois et certains vieux commandants infects dont nul n’a jamais entendu parler valent infiniment mieux que leurs actuelles contreparties.
— Je travaille à mon compte, maintenant.
— Je ne suis pas d’accord avec les gens qui quittent la légion avant l’heure de la retraite.
— Je n’ai jamais supposé que tu le serais.
— Le service national a perdu de son lustre ?
— J’ai ramassé un vilain coup de pilum.
Pas si vilain que ça, mais ça m’avait tiré d’affaire.
— Où ça ? insista le préfet, qui aurait fait un bon détective.
— En Bretagne, avouai-je.
— Un coin qu’on connaît !
Il m’observa, paupières plissées. Je me raidis en prévision de l’affrontement. Il n’y avait aucune échappatoire : si je continuais à esquiver, de toute façon il finirait par deviner.
— Donc tu connais la Deuxième Augusta.
Sextus Juvenalis ne cilla pas, mais on aurait dit que le dédain gagnait peu à peu sa physionomie tout entière, comme un caméléon change de couleur.
— Eh bien ! Dommage pour toi ! railla-t-il.
— Dommage pour la Deuxième tout entière… Grâce à certain préfet de camp nommé Pœnius Postumus !
Pœnius Postumus était l’imbécile qui ignora l’ordre de rejoindre la bataille contre les Icènes. Nous-mêmes, ne comprîmes jamais vraiment quelle raison se cachait là-dessous.
— Il a trahi la Deuxième tout autant qu’il vous a trahis vous, continuai-je.
— J’ai entendu dire qu’il avait payé. (Juvenalis parlait maintenant à mi-voix, submergé de curiosité morbide.) D’après ce qui se dit, Postumus serait tombé sur son glaive par la suite. Est-il vraiment tombé … ou l’a-t-on lâché ?
— À ton avis ?
— Tu en sais quelque chose ?
— Oui.
J’étais là. Nous y étions tous. Mais ce qui se passa au cours de cette nuit de furie reste le secret de la Deuxième Augusta. Juvenalis me dévisagea comme s’il contemplait un gardien des enfers brandissant une torche éteinte. Mais il se reprit bien vite.
— Si tu étais de la Deuxième, il va falloir y aller sur des œufs ici. Surtout, ajouta-t-il d’un ton menaçant, si c’est toi, l’agent secret de Vespasien ! (Je ne fis pas mine de me récrier.) À moins que ça soit ton minet de compagnon ?
— Alors comme ça, les gens ont repéré Xanthus ? (Je souris tranquillement.) En toute honnêteté, je ne sais pas quel est son rôle. Et je préfère ne pas savoir.
— Où l’as-tu déniché ?
— Cadeau surprise de Titus César.
— Récompense de services passés ? railla le préfet.
— Plutôt de services à venir, à mon avis. (J’étais prêt à visser un peu plus serré encore.) Tu es le mieux placé pour fournir des prétextes pour la Quatorzième. Venons-en à Gracilis.
— Qu’y a-t-il à en dire ? lança Juvenalis d’un ton léger.
Il semblait prendre le parti du bon sens, mais je ne me laissai pas
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