Voyage en Germanie
lit, un pot en stéatite de son onguent facial préféré qui avait roulé derrière le coffre à provisions… Et c’était tout. J’en conclus à contrecœur qu’Helena Justina avait retiré tous ses effets personnels de mon appartement et claqué la porte.
Cela semblait sans appel… mais je finis par aviser un indice. La lettre de son frère Ælianus était restée sur la table, où Helena l’avait posée en me disant que je pouvais la lire. Je la lus donc, cette fois. Dans un premier temps, je le regrettai. Puis je me réjouis d’être au courant.
Ælianus était le garçon insouciant, l’oisif de la famille, qui, en général, ne se donnait jamais la peine d’écrire aux siens, alors qu’Helena, elle, lui envoyait régulièrement des lettres. Étant l’aînée des trois enfants Camillus, elle dispensait à ses frères le genre d’affection désuète que les autres familles avaient jetée aux orties au terme de la République. J’avais d’ores et déjà compris que Justinus était le frère préféré d’Helena ; les lettres qu’elle envoyait en Espagne tenaient plus du devoir fraternel. Et c’était tout à fait caractéristique que, venant à apprendre que sa sœur s’était acoquinée avec un plébéien exerçant un métier pouilleux, Camillus Ælianus écrive pour une fois… Et une diatribe si virulente avec ça que je la laissai tomber avec dégoût, Ælianus était fou de rage à l’idée du tort qu’Helena causait par là au nom illustre de sa famille. Il l’expliquait avec toute la crasse indifférence d’un jeune homme dans la fleur de ses 20 ans.
Attachée comme elle l’était à la famille, Helena avait dû être très affectée de cette lettre. Elle devait avoir remâché ça sans même que je m’en rende compte. Là-dessus, Titus avait surgi, porteur d’une menace de catastrophe… C’était bien d’elle de ne pas en dire plus. Et bien de moi, lorsqu’elle avait fini par appeler à l’aide, de lui tourner le dos.
Sitôt cette lecture achevée, l’envie me vint de prendre ma bien-aimée dans mes bras. Trop tard, Falco. Trop tard pour la réconforter. Trop tard pour la protéger. Trop tard pour tout, apparemment.
Je ne fus donc pas étonné quand un message sec et bref me parvint, m’annonçant qu’Helena ne pouvait supporter Rome plus longtemps et partait à l’étranger.
6
Ce fut ainsi, donc, que je me laissai envoyer en Germanie.
Sans Helena, je n’avais aucune raison de rester à Rome. Essayer de la rattraper était inutile : elle avait calculé de manière à ce que son message me parvienne une fois la piste éventée. Je ne tardai pas à me lasser des membres de ma famille qui me donnaient ouvertement à entendre qu’ils s’étaient toujours attendus à ce qu’elle me laisse tomber. M’y étant moi-même toujours attendu, j’étais incapable d’imaginer la moindre riposte. Le père d’Helena se rendait souvent aux mêmes bains que moi, si bien que l’éviter devint un passe-temps compliqué. Il finit toutefois par me repérer alors que je tâchais de me dissimuler derrière un pilier. Il se débarrassa de l’esclave qui lui étrillait le dos à l’aide d’un strigile et accourut vers moi dans un nuage d’huile parfumée.
— Je compte sur vous, Marcus, pour me dire où peut bien être allée se fourrer ma fille…
Je déglutis.
— Eh bien ! monsieur, vous connaissez Helena Justina…
— Vous non plus, n’en avez aucune idée ! s’exclama le père.
L’instant d’après, il se confondait en excuses à propos d’Helena, comme si c’était moi qui devais me formaliser du comportement excentrique de la demoiselle.
— Calmez-vous, sénateur ! (D’un geste apaisant, je le drapai d’une serviette.) J’ai fait mon métier de filer les bien-aimées des autres lorsqu’elles disparaissent. Je retrouverai Helena.
Je m’efforçai de ne pas avoir l’air trop inquiet de mes propres mensonges. Lui de même.
Mon ami Petronius fit de son mieux pour me communiquer son entrain, mais il était lui-même passablement déconcerté.
— À l’étranger ! Falco, tu n’as pas plus de cervelle qu’un poisson-chat dégénéré. Tu ne pouvais donc pas tomber amoureux d’une fille normale ? De celles qui se précipitent chez leur mère chaque fois qu’on leur fait des misères, et qui reviennent en douce la semaine suivante avec un nouveau collier qu’on devra payer ?
— C’est que seule une fille aimant les nobles décisions sans queue ni
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