Voyage en Germanie
Justina voir la Colonne Jupiter de façon à pouvoir m’entretenir avec elle en privé. Tel fut en tout cas le prétexte que j’avançai.
Nous en fîmes solennellement le tour, feignant d’admirer l’obélisque à quatre pans érigé par deux financiers lèche-bottes au nom de la collectivité. Cela faisait un monument correct, à condition d’apprécier les hommages à Néron. Y figuraient les habituelles plaques représentant les divinités de l’Olympe : Rémus et Romulus prouvant que le fait d’avoir une mère bizarre n’empêche pas de devenir un homme, Hercule faisant son boulot demi-divin avec son habituelle bravoure de macho, Castor et Pollux menant leurs chevaux à l’abreuvoir, chacun d’un côté de la colonne comme s’ils étaient en froid. Loin, tout au sommet, se dressait un énorme bronze de Jupiter Optimus Maximus, tout en barbe et grandes sandales, brandissant un éclair des plus zigzagants qui ferait un malheur dans n’importe quelle réception chic. L’édifice était situé trop en vue pour que j’enlace Helena, mais elle savait que j’en avais envie. Il me sembla remarquer qu’elle avait l’air déçu. Trois heures au moins s’étant écoulées depuis la dernière fois que je l’avais touchée, je l’étais aussi.
— Il va falloir que je t’emmène faire un pique-nique en barque sur le fleuve, déclarai-je à voix basse.
— Par Junon ! Tu crois que c’est prudent ?
— D’accord, je reconnais que la Germanie n’est pas l’endroit rêvé pour venir s’offrir une petite croisière automnale tranquille.
— Mais tu vas pourtant bien descendre le fleuve, non ?
La question était formulée sur un ton outrageusement uni en lequel je reconnus l’expression de l’inquiétude.
— Apparemment, je ne vais pas y couper, mon amour.
Helena était bouleversée. Cela me contrariait profondément. Je l’avais placée devant un dilemme. Jamais elle n’avait tenté de me détourner de mon travail. D’une part, parce qu’elle avait envie que je gagne assez d’argent pour accéder à la classe moyenne, ce qui nous permettrait de nous marier sans provoquer de scandale. Pour ce faire, il me fallait quatre cent mille sesterces… somme faramineuse pour un tocard de l’Aventin. Le genre de fortune que je ne pourrais gagner qu’en faisant quelque chose d’illégal – ce que, bien entendu, je ne pouvais absolument pas envisager – ou de dangereux.
— Quoi qu’il en soit, ajouta-t-elle d’un ton enjoué, tu es venu ici pour une affaire politique, or il semble que tu aies basculé la tête la première dans une guerre potière en bonne et due forme.
— Ça en a tout l’air.
Helena se mit à rire.
— Quand tu tombes d’accord aussi docilement, en général je m’aperçois que tu es de l’avis contraire.
— Exact. Je pense que les incidents des potiers constituent un problème accessoire. (Si néanmoins je parvenais à aider les potiers tout en atteignant mes fins personnelles, je le ferais.) Ces artisans se trouvent face à l’habituel bazar administratif. Le marché des offres a été saboté par un imbécile pourtant grassement payé par l’état pour savoir se tenir. Ça arrive partout. Que Florius Gracilis trempe là-dedans, et fourre en plus son nez dans les histoires que Vespasien m’a envoyé négocier avec Civilis, c’est pas de chance pour moi, voilà tout.
Mais la dernière des choses que je souhaitais, si je pénétrais en zone dangereuse, c’était me retrouver contraint de suivre le même itinéraire que je ne sais quel bouffon sénatorial incapable de traiter ne serait-ce qu’un banal contrat de fournitures culinaires. Surtout si le type en question, comme cela semblait à présent probable, atteignait le théâtre des troubles avant moi et commençait à faire des siennes en avivant encore plus les susceptibilités tribales.
— Il t’est déjà arrivé d’avoir de la chance, Marcus ?
— Seulement le jour où je t’ai rencontrée.
Helena fit mine de ne pas entendre ma réponse.
— Tu parlais de Civilis. Comment espères-tu le retrouver ?
— L’occasion finira bien par se présenter.
— Et la prêtresse ?
— Veleda ? (J’esquissai un grand sourire.) Alors comme ça, Justinus t’a parlé de ça aussi, hein ?
— Ça m’a tout l’air d’être une nouvelle histoire de veuve à Veii, grommela Helena d’un air sarcastique.
— Dans ce cas, tout va bien : je saurai m’y prendre.
Helena Justina me traita de gigolo
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