Voyage en Germanie
connaissance ?
— Oh ! il était de passage à Colonia Agrippinensium.
— Intrigue romanesque ? fis-je avec un grand sourire.
— Train-train quotidien, mon cher.
Je compris qu’elle mettait le commerce des charmes sur le même plan que celui des œufs.
— Raconte-moi !
— Pourquoi pas ? Le général vint me remercier de la façon dont j’avais contribué à affaiblir l’ennemi.
— Qu’avais-tu fait ?
J’imaginai quelque intrigue de bordel.
— Notre ville cherchait un moyen de renouer avec Rome. Les conseillers municipaux proposèrent de livrer la femme et la sœur de Civilis, plus la fille d’un des autres chefs, détenue ici à titre de garantie. Nous imaginâmes ensuite quelque chose de plus utile. Civilis, toujours en confiance, plaçait ses espoirs dans ses meilleurs soldats, des guerriers choisis parmi les Chatti et les Frisons qui avaient établi leurs camps non loin d’ici. Les hommes de notre ville les invitèrent à un festin et les gavèrent de nourriture et de boisson. Puis, une fois que tous furent complètement abrutis, ils fermèrent les portes et mirent le feu à la salle.
Je tâchai de ne pas trop laisser transparaître mon dégoût.
— Une amicale coutume germanique ?
— Elle s’est déjà pratiquée.
Le plus glaçant de l’histoire, c’était le ton détaché de mon hôtesse.
— Quand Civilis apprit que ses soldats d’élite avaient été brûlés vifs, il s’enfuit vers le nord, et Petilius Cerialis entra avec gratitude dans Colonia… Mais quel fut ton rôle à toi, Claudia ?
— J’ai fourni nourriture et boissons pour le festin.
Je posai ma coupe de vin.
— Loin de moi l’idée de me montrer curieux, Claudia Sacrata, mais peux-tu me dire une chose…
Cette femme curieusement douillette et cependant insensible me mettait mal à l’aise. Je changeai promptement de sujet.
— Comment, en réalité, le général a-t-il perdu son vaisseau amiral ?
Elle sourit, mais ne dit rien. Ç’avait été un épisode idiot de plus.
J’exposai à mon hôtesse ce que mes recherches m’avaient déjà révélé. Après une période de campagne infructueuse en Europe du nord, où Civilis et les Bataves l’avaient engagé dans une guérilla autour des marécages de leur région natale, décidés, semblait-il, à repousser Rome indéfiniment, Petilius Cerialis était parti changer d’air – le type d’action qu’il préférait – en inspectant quelques nouveaux quartiers d’hiver à Novæsium et Bonna, dans l’intention de regagner le nord pourvu d’une flottille grandement nécessaire. À nouveau, cependant, la discipline manqua ; à nouveau ses gardes se montrèrent négligents. Par une nuit sombre, les Germains pénétrèrent sans bruit dans le camp, tranchèrent les cordes des tentes et déclenchèrent un massacre, pendant que nos hommes se débattaient sous les toiles effondrées, couraient en tous sens dans le camp, à demi vêtus, terrorisés. Il n’y avait personne pour les reprendre en main puisque, bien entendu, Cerialis s’était à nouveau éclipsé ailleurs.
— L’ennemi s’empara du vaisseau amiral qu’il emporta en le halant, Julius Civilis étant persuadé que le général se trouvait à bord.
— Dommage pour lui ! roucoula Claudia.
Je tâchai de ne pas avoir l’air trop critique.
— Le général couchait ailleurs, une fois de plus ?
— De toute évidence.
— Avec toi, comme l’affirma la rumeur publique ?
J’avais beaucoup de mal à m’imaginer cela.
— Tu ne peux tout de même pas t’attendre à ce que je réponde.
— Je vois.
Avec elle. J’étais donc en train de pousser plus loin qu’à son goût.
— Tu dis que tes recherches n’ont rien à voir avec Petilius, alors pourquoi toutes ces questions à propos d’incidents du passé ?
— Je suis très friand de détails pittoresques.
J’espérai que mon intérêt envers Petilius puisse paraître dangereux pour l’homme : Claudia Sacrata tâcherait alors de dévier ma piste en me livrant les renseignements que je voulais vraiment. Mais elle était plus coriace qu’il n’y paraissait. Son apparente simplicité masquait un sens aigu des affaires.
— Qu’advint-il du vaisseau amiral, en définitive ?
— Au point du jour, les rebelles s’enfuirent tous à bord des navires romains. Ils halèrent le vaisseau amiral jusqu’en leur propre territoire, en guise de cadeau à l’intention de leur prêtresse.
— Veleda ! (J’émis un léger sifflement.) Donc
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