Voyage en Germanie
légers, agréables, dont nous goûtâmes certains au passage. À bord, nous rêvions en suivant des yeux les canards qui flottaient au gré du courant entre les morceaux de bois portés par le fleuve, puis s’arrachaient à tire d’aile de leur baignade pour aller la reprendre en amont. Des chalands bas, croulant sous des amas de toutes les marchandises imaginables, descendaient le fleuve couplés par deux ou trois, avant de remonter à la rame ou halés, dans l’autre sens. La vie semblait plaisante. Qui plus est, les commerçants travaillant le long du fleuve étaient visiblement prospères. Avec Helena à mes côtés, j’aurais pu rester là toute la vie, devenir un joyeux fainéant des bords du Rhenus et ne plus jamais retourner à Rome.
— Qu’y a-t-il dans ton gros bagage ? s’enquit Helena.
— Des parchemins à lire.
— De poésie ?
— D’histoire.
— Comme dans Thucydide ?
— Comme dans le Grand Foutoir des Temps Modernes.
Helena jeta un coup d’œil alentour pour voir si Augustinilla n’était pas à portée d’oreille de cette grossièreté, mais constata que ma nièce était trop occupée à tâcher de passer par-dessus bord. Elle se mit à rire : — Pourquoi cet intérêt ?
— Recherches en vue de mes divers projets dans la région. Un archiviste de Rome m’a recopié certains documents relatant la révolte.
Maintenant qu’Helena savait ce que je transportais au cours de cette descente fluviale, il n’y avait plus de raison de le dissimuler. Je tirai le panier de mes bagages et me plongeai sans tarder dans le récit des piètres exploits de Rome tâchant de débusquer Civilis. Plus je lisais de choses à propos de cette campagne, plus je me sentais petit.
Bientôt, trop tôt, nous dépassâmes la jonction avec le fleuve Mosella à Castrum ad Confluentes, passâmes Bingium et Bonna – portant l’une et l’autre cicatrices et traces d’incendies, mais hérissées de charpentes en cours de construction –, puis arrivâmes à bon port.
Colonia Claudia Ara Agrippinensium se donnait beaucoup de mal pour être à la hauteur de ses titres ronflants. Fondée par Agrippa – sous le nom d’Ara Ubiorum –, elle fut rebaptisée en son propre honneur par la fille de ce dernier, l’intraitable épouse de Germanicus, dont la réputation parvenait encore à faire faiblir les hommes les plus courageux. La ville était le sanctuaire officiellement reconnu des Ubiens en même temps que la capitale de la province de Germanie inférieure. Protégée par un petit fort, elle s’enorgueillissait en outre d’être la principale tête de pont romaine sur le fleuve et le quartier général de la flotte romaine du Rhenus. Une ville de province bien conçue, prospère, alimentée par un aqueduc de construction militaire, et abritant une importante colonie de soldats à la retraite. Les liens étroits qui existaient entre Colonia et Rome avaient suscité quelques décisions difficiles au cours de la révolte. Les citoyens étaient d’abord restés fidèles à l’Empire, refusant d’épouser la cause de Civilis et arrêtant son fils – néanmoins placé sous surveillance d’honneur, pour le cas où le vent viendrait à tourner. Ce fut seulement quand la situation devint intenable que ces prudents héros se résignèrent à prêter l’oreille à leurs frères des tribus qui les exhortaient à reconnaître leur héritage germain, et même alors, leur alliance avec les combattants pour la liberté conserva des aspects ambigus. Les citoyens de Colonia firent en sorte de négocier leurs propres conditions avec Civilis et Veleda, puisqu’à l’époque, ils avaient assigné à résidence la majeure partie des parents du Batave en les murs de la cité, et disposaient de moyens pécuniaires suffisants pour envoyer à la prêtresse sylvestre les cadeaux qui amadouent. De savantes manœuvres aidèrent la ville à survivre sans qu’aucune des parties belligérantes la pille. Ensuite, dès que Petilius Cerialis commença à prendre le dessus, le bon peuple de la ville l’appela à la rescousse et fit à nouveau alliance avec Rome.
Ces gens savaient mener leurs affaires municipales avec élégance, aussi eus-je le sentiment que Colonia était un lieu sûr où emmener Helena.
Nous arrivâmes assez tôt dans la journée. Je lâchai mes compagnons dans un gîte proche de la préfecture en précisant à Xanthus que l’homme de la maison, c’était lui. Helena ne tarderait pas à le
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