Voyage en Germanie
plus important n’était pas en cause, son ton se fit possessif.
— Je n’ai rien contre le fait de parler de Cerialis. (D’un geste, elle m’invita à m’installer sur une couche.) Fais comme chez toi…
Jamais de la vie chez moi n’avait ressemblé à ça. Elle sonna un serviteur, sémillant garçon qui semblait avoir été sonné plus souvent qu’à son tour. Après m’avoir examiné d’un œil pénétrant, elle lança : — Un homme à vin chaud, voilà ce que j’en dirais !
Excepté chez moi, je détestais ce breuvage. Mais pour encourager les bonnes relations, j’acceptai d’être du genre à boire du vin chaud.
Une préparation suave arriva, servie dans des coupes splendides, mais un peu trop lourdement épicée. Une chaleur roborative m’envahit l’estomac pour ensuite se répandre dans mon système nerveux, distillant en moi un sentiment de bonheur et de sécurité, même lorsque Claudia Sacrata lança, enjôleuse : « Alors, dis-moi tout ! » ce qui était censé être ma réplique à moi.
— Toi, plutôt, répondis-je en souriant, laissant entendre que d’autres femmes avisées avaient déjà tenté de me circonvenir par le passé. Nous parlions de Petilius Cerialis.
— Un monsieur très charmant.
— On le dit un peu tête brûlée sur les bords, non ?
— Dans quel domaine ? minauda mon hôtesse.
— Le domaine militaire, par exemple.
— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?
Petit jeu idiot. J’en conclus cependant que si je voulais obtenir des renseignements, j’allais devoir payer le prix en parlant de son bien-aimé Cerialis.
— Tout d’abord, j’ai lu des choses à propos de la bataille qu’il livra à Augusta Treverorum.
Je sirotais ma grande coupe de vin épicé d’un air aussi détaché que possible. Pour peu que Cerialis porte ses épaulettes comme cela se fait d’habitude, il avait dû saouler tout le monde jusqu’à plus soif avec le récit de sa grande bataille.
Claudia Sacrata prit une pose étudiée et réfléchit.
— C’est vrai, les gens ont dit à l’époque qu’il avait fait des erreurs.
— Ma foi, il y a deux façons de voir les choses, concédai-je pour jouer le type sympathique.
De fait, il n’y avait qu’une seule façon dont, moi, je puisse voir les choses.
Comme un imbécile, Petilius Cerialis avait laissé ses adversaires se rassembler en grand nombre pendant que, de son côté, il attendait des renforts. Ç’avait été passablement périlleux. Sa fameuse offensive était en déroute, de surcroît. Cerialis avait dressé son camp sur la rive du fleuve, du côté opposé à la ville. L’ennemi arriva très tôt le matin, rampa à l’assaut de toutes parts et surgit dans le campement, semant la confusion générale.
— J’ai cru comprendre, reprit Claudia qui le défendait avec une solide loyauté, que la situation ne put être sauvée que grâce à l’initiative courageuse du général.
Telle était donc la version de l’intéressé.
— Sans aucun doute. (Mon travail requiert une aptitude éhontée pour le mensonge.) Cerialis s’est jeté hors de son lit sans cuirasse pour découvrir son campement sens dessus dessous, sa cavalerie en fuite, et la tête de pont aux mains de l’ennemi. Il empoigna les fuyards, leur fit faire demi-tour, reprit le pont avec une grande bravoure personnelle, puis rallia en force le camp romain où il reprit ses hommes en main. Il récupéra tout ce qu’il avait perdu et termina la journée en détruisant le quartier général de l’ennemi au lieu de perdre le sien.
Claudia Sacrata agita l’index.
— Pourquoi ce scepticisme ?
Parce que l’autre point de vue consistait à affirmer que notre armée avait été commandée en dépit du bon sens : l’ennemi n’aurait jamais dû pouvoir s’approcher autant sans qu’on le repère ; le campement était mal gardé, les sentinelles dormaient, et leur commandant lui-même s’était absenté. La déroute totale de notre fringant général n’avait pu être évitée qu’en raison du fait que les hommes des tribus comptaient piller la ville. Je ravalai mon amertume.
— Pourquoi le général ne dormait-il pas au camp ce soir-là ?
La dame répondit calmement :
— Ça, je ne saurais le dire.
— Le connaissais-tu à l’époque ?
— J’ai fait sa connaissance plus tard.
Ainsi, avant même le début de leur liaison, Cerialis préférait déjà le confort d’une maison particulière.
— Puis-je demander comment vous avez fait
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