Voyage en Germanie
Gaulois qui réglaient tous les frais.
Il fallait que je sache.
— Je m’en voudrais d’être borné, mais entends-tu par là qu’ils offraient à Florius Gracilis sa visite chez toi ?
Elle acquiesça sans un mot. Je le tenais. Si le légat de la Quatorzième Gemina se laissait entraîner dans une virée de complaisance de cet acabit, Vespasien allait rayer son nom de la liste des officiers en un rien de temps.
— Quel genre de Gaulois étaient ces hommes ?
— Des potiers, répondit Claudia.
Je me demandai pourquoi elle avait choisi de livrer des renseignements à propos de ce client précis. Jalousie germanique envers la Gaule ? Vexation d’avoir constaté qu’ouvertement on recourait à ses services en guise de pot-de-vin ? J’optai pour la version de la malhonnêteté commerciale. Étant elle-même femme d’affaires, Claudia devait par nature détester la tricherie.
— Je ne t’ennuierai pas plus longtemps avec mes questions indiscrètes. Écoute, nous discutions de Munius Lupercus. La guerre date de vieux à présent, j’ai du mal à trouver des pistes. J’envisage même de traverser le Rhenus pour remonter son itinéraire en tant que captif. Ton réseau de relations utiles s’étend-il jusqu’à l’autre rive ? Tu n’aurais pas rencontré la prophétesse…
J’aurais dû deviner à quoi m’en tenir.
— Veleda ? s’écria Claudia Sacrata. Oh, mais je la connais !
Une légère exaspération affleura dans ma voix :
— Je la croyais impossible à joindre ? J’ai entendu dire qu’elle vivait au sommet d’un arbre, et que même les ambassadeurs que lui envoyait Colonia pour négocier selon ses conditions à elle devaient lui adresser leurs messages via les hommes de sa famille.
— C’est vrai, mon cher.
Une idée épouvantable me vint subitement :
— Faisais-tu partie de l’ambassade envoyée par Colonia ?
— Bien sûr, murmura Claudia. On n’est pas à Rome ici, Marcus Didius.
C’était certes vrai. Les femmes de Germanie aimaient visiblement se tenir sur le devant de la scène. Pensée terrifiante pour un Romain ordinaire. Mon éducation était bafouée… mais mon intérêt captivé.
— J’occupe un certain rang à Colonia, Marcus Didius. Je suis connue.
Je devinais sans peine ce qui lui assurait la notoriété… l’insigne universel du rang.
— Es-tu riche, Claudia Sacrata ?
— Mes amis sont généreux envers moi…
Ainsi donc, elle avait écrémé quelques confortables comptes en banque du Forum.
— … J’ai aidé à choisir les cadeaux destinés à Veleda. J’en ai fourni certains. Et puis j’avais envie d’aller voir du pays ; du coup, j’ai voyagé avec les ambassadeurs.
Elle ne valait pas mieux que Xanthus. Le monde devait regorger de crétins intrépides tâchant d’attraper je ne sais quelle forme fatale de fièvre des marais.
— Que je devine… (J’arborais malgré moi un large sourire.) Les hommes ont peut-être dû se plier aux règles qui préservent le caractère sacré de Veleda, mais toi, en revanche, tu t’es débrouillée pour obtenir une petite discussion entre femmes ? J’imagine que la vierge vénérée doit bien descendre de sa tour de temps en temps… histoire de se débarbouiller, mettons ?
Cette description iconoclaste n’eut pas l’air déplacée dans l’atmosphère discrète qui régnait chez Claudia, où Jupiter, gardien des étrangers, devait être à son affaire pour protéger les gens cherchant désespérément une formule polie afin de s’éclipser aux latrines.
— J’ai fait tout ce que je pouvais pour elle. (Claudia Sacrata semblait navrée.) Tu imagines la vie que mène cette pauvre fille. Aucune discussion, aucune compagnie. Les hommes qui assurent sa protection ne sont pas des lumières. Elle avait sacrément besoin de tailler une bavette, je te le dis, moi. D’ailleurs, avant que tu demandes quoi que ce soit, mon cher, sache que j’ai mis mon point d’honneur à demander des nouvelles de Lupercus. Je n’oublie jamais mes garçons si j’ai une chance de leur rendre un bon service.
Cela me mit en colère.
— La mort d’un homme en territoire ennemi n’a rien d’un sujet de commérage ! Lupercus était-il de ceux dont tu as ricané dans les buissons chez les Bructères ? T’a-t-elle dit ce qu’elle avait fait de lui ?
— Non, répondit sèchement Claudia, comme si je venais d’attaquer la gent féminine au grand complet.
— Ce serait trop pour des oreilles civilisées ?
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