Will
consternation, il ne découvrit que des tiges nues.
Chacune avait été cassée net, l’épi de grain proprement rongé.
Le spectacle lui brisa le cœur. « Qui a pu faire
ça ? » gémit-il, pensant qu’il devait s’agir de pillards anglais,
puisque aucun de ses compatriotes alentour n’aurait pu accomplir cela en une
seule nuit. Tout en réfléchissant à la question, il se hâta d’aller examiner le
deuxième champ ; pour le découvrir entièrement mûr et prêt pour la
récolte.
« S’il plaît à Dieu, dit-il, je moissonnerai ce champ
demain. » Une fois encore, il aiguisa sa faux et sortit au matin. Mais une
fois devant le champ, il ne trouva que du chaume.
« Seigneur, s’écria-t-il avec angoisse, me faut-il être
ruiné ? Qui a pu faire une chose pareille ? » Il y réfléchit
encore et encore, mais ne parvint qu’à cette conclusion : « Celui qui
veut ma chute est celui qui y travaille. Mon ennemi a détruit mon pays avec
moi ! »
Alors il se précipita dans le troisième champ pour
l’examiner. Il ne douta pas que c’était le plus beau grain qui soit, et, se
penchant sur sa faux : « Honte à moi si je ne monte pas la garde ce
soir, de peur que celui qui a dévalisé mes autres champs vienne piller
également celui-ci. Quoi qu’il advienne, je protégerai ce grain. »
Il rentra en hâte à sa demeure, rassembla ses armes,
ressortit et entreprit de garder le champ. Le soleil se coucha, et il se lassa,
mais il ne cessa pas pour autant d’arpenter les frontières du champ.
Vers minuit, le puissant seigneur du Dyfed était en vigie
quand survint un vacarme extraordinaire. Il regarda autour de lui et, que ne
vit-il une horde de souris – et pas seulement une horde, mais une horde de
hordes ! Tant de souris qu’il était impossible de les compter ou même d’en
estimer le nombre, quand bien même vous auriez eu une année et un jour pour le
faire.
Avant même que Manawyddan puisse faire le moindre mouvement,
les souris se précipitèrent dans le champ et chacune grimpa au bout d’une tige
d’orge pour couper l’épi et l’emporter. En moins de temps qu’il n’en faut pour
le dire, il n’y eut plus la moindre tige intacte. Alors, aussi vite qu’elles
étaient venues, les souris détalèrent avec les épis.
Une rage irrépressible envahit le guerrier, qui se précipita
sur les souris. Mais il ne pouvait pas plus les attraper qu’il n’aurait pu
attraper les oiseaux dans le ciel – à l’exception d’une seule qui était si
grosse et si lourde que Manawyddan put se jeter sur elle et la cueillir
promptement par la queue. Cela fait, il la fit tomber à l’intérieur de son
gant, qu’il referma ensuite avec une ficelle. Après avoir glissé le gant à sa ceinture,
il fit volte-face et repartit là où Cigfa attendait le garde affamé avec un bon
repas.
Manawyddan retourna à la modeste cabane où il vivait avec
Cigfa et accrocha le gant à une patère derrière la porte. « Qu’avez-vous
là, mon seigneur ? demanda Cigfa en avivant le feu.
— Un maraudeur, répondit le puissant Manawyddan en
s’étouffant presque à chaque mot. Je l’ai attrapé en train de nous voler notre
nourriture.
— Cher père, quelle sorte de voleur peut contenir votre
gant ?
— Puisque tu le demandes, soupira Manawyddan, voici
toute l’histoire. »
Et il lui parla du dernier champ, détruit lui aussi, de la
récolte dévastée par les souris alors même qu’il montait la garde.
« Cette souris était très grosse, dit-il en désignant
le gant, ce qui m’a permis de l’attraper. Le ciel et tous les saints m’en
soient témoins, je pendrai cette canaille demain. Si j’avais attrapé davantage
de ces voleurs je les aurais pendus tous pareillement.
— Vous ferez comme il vous plaira, car vous êtes le
seigneur de cette terre, et de ce fait dans votre droit, répondit la jeune
femme. Cependant, il me semble quelque peu inconvenant pour un roi de votre
stature et de votre noblesse d’exterminer cette vermine. Vous ne gagnerez pas
grand-chose à vous tracasser pour pareille créature. Peut-être vous
honoreriez-vous en la laissant partir.
— Tes conseils sont sages, à n’en point douter. Mais la
honte s’abattrait sur moi s’il venait à être connu que je n’ai attrapé l’une de
ces petites voleuses que pour la laisser s’en aller.
— Et comment l’apprendrait-on ? Y a-t-il
quiconque, à part moi, à le savoir ou à s’en soucier ?
— Je ne
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