Will
Quand bien même, j’insiste pour que vous ne souilliez votre rang élevé
dans la boue du déshonneur. Aussi vous donnerai-je trois livres de bon argent
pour laisser cette souris partir.
— Pardieu ! répondit Manawyddan, voilà bien une
somme princière, mais je n’ai que faire de votre argent. Je ne veux aucun
paiement, hormis celui que ce voleur me doit : une bonne pendaison.
— Si c’est votre dernier mot.
— Ça l’est.
— Alors faites comme il vous plaira. » Et, tirant
sur ses rênes, le prêtre s’en fut.
Manawyddan, seigneur du Dyfed, reprit son ouvrage. Avec un bout
de ficelle, il façonna un petit nœud coulant et l’attacha autour du cou de la
souris. Tandis qu’il se vouait à sa tâche, il entendit le son d’un pipeau et
d’un tambour. Regardant au bas du monticule, il vit l’escorte d’un évêque, avec
ses bêtes de somme et ses soldats. L’évêque se dirigeait vers lui à grands pas.
Il interrompit sa besogne. « Monseigneur, lui cria-t-il, bénissez-moi je
vous prie.
— Puisse Dieu vous bénir abondamment, mon ami, dit
l’évêque vêtu de satin. Si je puis me permettre, quelle sorte de travail
accomplissez-vous sur ce monticule ?
— Eh bien, répondit Manawyddan, de plus en plus irrité
d’avoir à expliquer chacune de ses actions, puisque vous le demandez, et pour
peu que cela vous concerne – ce qui n’est pas le cas –, sachez que je
pends un sale voleur que j’ai attrapé en train de dérober mon grain jusqu’au
dernier, celui-là même sur lequel je comptais pour nous sustenter moi et ma
chère belle-fille l’hiver prochain.
— Je suis désolé de l’apprendre. Mais, mon seigneur,
n’est-ce pas une souris que je vois dans votre main ?
— Oh, oui, confirma Manawyddan, et qui plus est une
sacrée voleuse.
— Écoutez-moi, dit l’évêque, c’est peut-être Dieu qui a
voulu que je tombe sur la destruction de cette créature. Je vais la rédimer du
destin qu’elle mérite amplement. Je vous en prie, acceptez les trente livres
que je vous donne pour sa vie. Car, par la barbe de saint Joseph, plutôt que de
voir un noble tel que vous exterminer cette minable vermine, je donnerai
volontiers autant et plus encore. Relâchez-la et conservez votre dignité.
— Non, Monseigneur, je n’en ferai rien.
— Si cette somme ne vous suffit pas pour la laisser
partir, je vous donnerai soixante livres d’excellent argent. Mon ami, je vous
supplie de la relâcher.
— Je ne la libérerai pas, par ma confession à Dieu,
pour cette somme ou pour bien plus. L’argent ne m’est d’aucune utilité dans la
tombe qui m’attend après la destruction de mes champs.
— Si vous libérez la souris, dit l’homme vêtu de satin,
je vous donnerai les sept bêtes de somme que vous voyez ici ainsi que tout ce
qu’elles transportent.
— Je ne veux pas de vos chevaux. Entre vous et moi et
Dieu, répondit Manawyddan, je ne pourrais pas les nourrir si je les avais.
— Puisque vous n’en voulez pas, donnez votre prix.
— Vous insistez sacrément pour un homme d’Église, dit
le seigneur du Dyfed. Mais puisque vous le demandez, je veux, plus que
n’importe quoi sous le ciel, le retour de ma chère épouse, Rhiannon, et de mon
bon ami et compagnon, Pryderi.
— Aussi vrai que je vis et respire, et avec Dieu comme
seul témoin, ils apparaîtront au moment même où vous libérerez cette souris.
— Ai-je dit que j’en avais fini ?
— Parlez, mon ami. Que voulez-vous d’autre ?
— Je veux une libération prompte et certaine de la
magie et de l’ensorcellement qui pèsent si lourdement sur les sept cantrefs du
Dyfed.
— Et cela vous l’obtiendrez, promit l’évêque, si vous
libérez la souris immédiatement et ne lui faites aucun mal.
— Vous devez me croire lent de pensée et de discours,
répondit Manawyddan, ses soupçons complètement éveillés. Je suis loin d’en
avoir fini.
— Qu’exigez-vous d’autre ?
— Je veux savoir ce que représente cette souris à vos
yeux, pour que son destin vous intéresse tant.
— Je vais vous le dire, dit l’évêque, bien que je sache
que vous ne me croirez pas.
— Essayez toujours.
— Me croirez-vous si je vous dis que la souris que vous
retenez est en fait ma propre épouse ? Si tel n’était pas le cas, je ne
ferais rien pour la libérer.
— Vous avez raison, mon ami, admit Manawyddan. Je ne
vous crois pas.
— C’est pourtant la vérité.
— Dans ce cas,
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