Will
de
complètement différent.
Pour Will et ses compatriotes, les
dévastations normandes ne prirent pas fin quand l’infortuné roi Harold
d’Angleterre fut vaincu sur le champ de bataille d’Hastings, au cours de
l’automne 1066. Ce n’était que le commencement de ce qui deviendrait un
cataclysme de changements sur plusieurs générations. Sous William le Conquérant
et son fils aux cheveux de flamme, William II (William le Rouge ou
« Rufus » , comme on l’appelait souvent), les vieilles
structures séculaires qui régissaient la vie de la population majoritairement
saxonne de l’Angleterre firent l’objet d’assauts implacables. Le système
complexe liant seigneurs et vassaux dans une chaîne inextricable de loyauté réciproque,
de soutiens et de protections – système qui avait été perfectionné par les
Saxons – fut rompu, jetant cette nation bien ordonnée dans le chaos. À
nouveaux souverains, nouvelles lois étranges sur la terre. L’une des plus
détestées était connue sous le nom de Loi Forestière – un ensemble de
codes juridiques extrêmement discutables élaborés uniquement au profit du
porteur de la couronne et de ses copains, et pas du tout limités aux
« forêts », dans notre acception de ce terme (des zones densément
boisées), mais couvrant aussi de grandes étendues de prairie, de marais et de
lande. Des villages entiers furent rasés et brûlés, quelquefois parce qu’ils se
situaient sur un terrain que le roi, ou les membres de sa cour, avaient estimé
primordial pour la chasse. En d’autres occasions, pareille destruction était
infligée en punition d’une infraction – rébellion ou trahison, par
exemple – par le seigneur local. Dans tous les cas, les terres
nouvellement saisies étaient confisquées et déclarées possessions du roi, qui
plaçait ces domaines souvent vastes sous l’administration et la protection d’un
« shire reeve [4] »
ou shérif, son représentant personnel sur place. Pareille appropriation de ce
qui était auparavant en communauté de jouissance et un moyen d’existence pour
beaucoup – disponible pour la chasse, les récoltes, le pâturage, le bois
et bien d’autres choses encore – constituait un véritable tremblement de
terre dans l’ordre social établi.
Tout à coup, s’introduire sans permission sur le domaine
royal devenait un crime grave, et la victime infortunée qui s’y faisait
attraper risquait au mieux la perte d’une main ou d’un œil, au pire la mort par
pendaison.
Et voilà qu’arrivent les Normands, qui fondent sur ces
terres comme des loups sur un paisible troupeau de moutons. Bien qu’il n’ait
commis aucun crime, Will – comme bon nombre de ses semblables – se
retrouve chassé de son foyer par les suzerains dominateurs qui ont remplacé son
maître et saisi ses terres, laissant les gens du commun – les fermiers,
les artisans, les paysans – livrés à eux-mêmes. Et si, de nos jours, il
est assez courant d’apprendre que l’homme qui conduit votre taxi était en fait
un chirurgien cardiologue dans son pays d’origine, ou que la femme qui nettoie
votre bureau était une conférencière universitaire avant d’être chassée de chez
elle… eh bien, il n’était pas rare à l’époque de Will Écarlate de rencontrer
des vagabonds, des mendiants, des voleurs et des hors-la-loi ayant auparavant
été des piliers de communautés traditionnelles à présent dévastées par les
envahisseurs. Et malgré la rigueur de la Loi Forestière, beaucoup cherchaient
refuge dans la forêt verdoyante, prêts à tout pour y survivre.
Et comme s’il n’y avait pas assez de problèmes sur le front
séculaire, le royaume spirituel subissait son propre choc des cultures. Bien
que les affaires de l’Église aient été aux mains d’une élite instruite,
essentiellement aristocratique, les conflits au sommet de l’échelle sociale
affectaient aussi ceux qui s’agrippaient aux barreaux inférieurs, et sévèrement.
Nous qui vivons dans des pays « chrétiens », devenus en grande partie
postchrétiens, nous aurons sans doute du mal à apprécier la profondeur des
passions réveillées par les changements introduits dans l’Église anglaise par
les Normands. Mais il nous suffit de regarder l’actuel chambardement résultant
du conflit entre pouvoirs religieux dans le monde pour se rappeler quelle
violence ces luttes suscitent. Dévastation et carnage sont partout visibles, à
peine
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