Will
elle et Pryderi avaient connu un si heureux mariage.
« Je vous suivrai. »
Ainsi quittèrent-ils ces belles vallées pour se rendre en
Angleterre. Sur la route, ils discutèrent. « Seigneur Manawyddan, dit
Cigfa, il nous sera peut-être nécessaire de travailler pour gagner notre vie
lorsque nous serons parmi les Anglais. Si tel est le cas, quel commerce
choisirez-vous ?
— Nos deux têtes pensent comme une seule. Je
réfléchissais à la même chose. Il me semble que la fabrication de chaussures
serait un commerce aussi bon que certains autres, et mieux que beaucoup.
— Seigneur, protesta la jeune femme, n’oubliez pas
votre rang. Vous êtes un roi dans votre propre pays ! Fabriquer des
chaussures peut convenir à certains, et c’est sans doute un commerce aussi bon
que beaucoup d’autres, mais il me semble trop humble pour un homme de votre
rang et de votre talent.
— Votre indignation m’honore, répondit Manawyddan ap
Llyr. Néanmoins, je suis devenu si friand de manger qu’il m’en coûte de passer une
journée sans viande ni ale. Je soupçonne qu’il en est de même pour vous. »
Lady Cigfa hocha la tête, mais ne dit rien.
« Par conséquent, j’ai jeté mon dévolu sur le commerce
de chaussures, et vous pourrez m’y aider en trouvant d’honnêtes gens pour acheter
les chausses que je fabriquerai.
— Si c’est ce que vous souhaitez, dit la jeune femme,
c’est ce que je ferai. »
Tous deux voyagèrent ici et là, et parvinrent enfin à une
ville susceptible de les accueillir un moment. Manawyddan se mit à l’ouvrage
et, bien que ce fût plus dur qu’il ne l’avait imaginé, il persévéra –
débutant avec des chaussures fonctionnelles, puis de bonnes chaussures.
Finalement, après beaucoup d’assiduité et de travail, il façonna les chaussures
les plus parfaites qu’on eût jamais vues en Angleterre. Il confectionnait des
chaussures à boucles avec du cuir et des garnitures dorées, des bottes teintes
en rouge et des sandales vertes avec des lacets bleus. Des chaussures si belles
que le travail de la plupart des cordonniers semblait grossier en comparaison.
Bientôt, partout dans le pays, quand on avait essayé une paire de chaussures ou
de bottes de Manawyddan le Gallois, on ne pouvait en supporter d’autres. Avec
la ravissante Cigfa pour vendre ses articles, les nobles du royaume refusèrent
bientôt d’acheter ailleurs.
Les deux exilés vécurent ainsi une année, puis une autre
encore, jusqu’à ce que tous les cordonniers d’Angleterre deviennent jaloux de
leur succès. Les artisans anglais organisèrent une réunion au cours de laquelle
ils décidèrent de publier un avertissement à l’attention du Gallois,
l’exhortant à quitter le royaume ou à encourir une mort certaine, car il
n’était plus le bienvenu parmi eux.
« Seigneur et père, dit Cigfa, doit-on supporter cela
de ces malotrus impolis ?
— Pas un instant, répondit Manawyddan. Je crois qu’il
est temps de retourner dans le Dyfed. Peut-être les choses se sont-elles
arrangées là-bas. »
Les deux voyageurs partirent pour le Dyfed avec un cheval,
un chariot et trois bonnes vaches laitières. Manawyddan s’était aussi procuré
un boisseau d’orge et des outils pour les semailles, les plantations et les
récoltes. Ils se rendirent à Arberth et s’y installèrent, car rien n’était plus
plaisant aux yeux de Manawyddan que de vivre sur les terres où il avait eu l’habitude
de chasser : lui-même et Pryderi, et Rhiannon, et Cigfa avec eux.
Tout au long de l’hiver, il pécha dans les ruisseaux et les
lacs, et malgré l’absence de chiens, s’avéra capable de chasser des cerfs dans
leurs repaires boisés. Quand le printemps arriva, il entreprit de labourer le
sol riche et compact, après quoi il planta un champ, puis un deuxième, puis un
troisième. L’orge qui poussa cet été-là était le meilleur du monde, et les
trois autres champs furent tout aussi féconds, produisant le grain le plus
abondant qu’on eût jamais vu dans le Dyfed.
Manawyddan et Cigfa besognèrent paisiblement au fil des
saisons. Un jour, ils se rendirent dans le premier champ et virent des tiges si
lourdes de grain qu’elles s’inclinaient au point de se briser. « Nous
commencerons à moissonner demain », dit Manawyddan.
Il se hâta de retourner à Arberth pour aiguiser sa faux. Le
lendemain, dans la lumière verdâtre de l’aube, il partit vers le champ. En
arrivant, à sa grande
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