Will
connaît ?
— Jurez-le », insiste-t-il. Je perçois dans sa
voix ce que je n’ai pas souvent entendu – un peu de chair et d’os, un peu
de fer. « Jurez sur votre âme que vous ne me trahirez pas.
— Dieu m’en est témoin, je jure sur mon âme éternelle
que je ne te trahirai pas. »
Cela semble le satisfaire ; il ouvre la porte de ma
cellule et reprend sa place habituelle. À la fermeté de sa bouche, je peux voir
qu’il mâche quelque chose de trop grand pour pouvoir l’avaler, et je lui en
laisse donc le temps.
« C’est l’abbé, dit-il enfin.
— Comme d’habitude. Qu’est-ce qu’il a fait cette
fois ?
— Il m’a menti. Il me ment depuis le tout début.
Maintes et maintes fois je m’en suis rendu compte, mais je n’ai rien dit.
— Je comprends.
— Non, Will, vous ne comprenez pas. Je lui ai menti moi
aussi. »
Je le dévisage. « Odo, tu m’épates.
— C’est la raison pour laquelle je me suis enfui. Il
fallait que je me confesse pour pouvoir faire ce que vous me demandez. Si je
suis tué, je veux me retrouver devant Dieu les mains et le cœur propres.
— Comme nous tous, Odo. Mais parle-moi donc de ces
tromperies. »
Il hoche la tête. « Je savais que vous ne trahiriez pas
Bran – pas même pour vous sauver.
— En vérité, jamais je ne le ferais.
— Quand j’ai compris que vous étiez un homme d’honneur,
j’ai décidé d’inventer pour l’abbé une histoire qui nous permettrait de
poursuivre nos discussions, en lui en dévoilant le moins possible. »
Je ne sais que dire, stupéfait par son tour. Il me semble
encore préférable de le laisser continuer. « Oh ?
— C’est bien ce que j’ai fait. Un peu de ce que vous me
racontiez, le reste tout droit sorti de mon imagination. » Il hausse les
épaules. « C’est facile pour moi. L’abbé ne sait rien de Mérian ou d’Iwan,
de Siarles, de Tuck, et ce qu’il sait de Bran relève surtout
d’élucubrations. » Il s’autorise un petit sourire sournois. « Plus
vous m’en racontiez sur le Bran véritable, moins j’en disais à l’abbé.
— Eh bien, tu m’as eu, Odo. Je suis sans voix. »
Mais Odo ne m’écoute pas.
« L’abbé Hugo m’a menti depuis le début. On ne peut se
fier à rien de ce qu’il dit. Il croit que je suis stupide, que je ne peux pas
voir à travers son voile de mensonges, mais il se trompe. » Il marque une
pause pour reprendre son souffle. Je devine qu’il se prépare à faire la chose
pour laquelle il est venu. « Comme la lettre que Bran a volée –
l’abbé prétend que ce n’était rien, une simple lettre d’introduction. Mais si
c’était vrai, pourquoi voulait-il tant la récupérer ?
— Et il la voulait, je peux te le dire. Un grand nombre
d’hommes sont morts lors du guet-apens de Noël pour la retrouver. C’était bien
plus qu’une lettre d’introduction, sois-en sûr.
— Ce que vous avez dit à propos d’une trahison contre
la couronne…» Sa voix se réduit à un chuchotement grinçant. « Connaissant
l’abbé, je ne doute pas que ce soit vrai. Quand bien même, je n’arrive pas à
trouver de quoi il peut s’agir.
— Moi non plus, Odo, moi non plus. Pendant très
longtemps, je n’y suis pas parvenu. Et pourtant, la réponse me regardait dans
le blanc des yeux. En bon chien aveugle que je suis, je ne pouvais pas la voir
jusqu’à ce que tu me montres où regarder.
— Je vous l’ai montré ? » Il est tout
sourire.
« Oh, oui. » Et moi de lui expliquer comment j’ai
compris ce que ce damné Neufmarché et son sinistre abbé complotaient. Il
écoute, hochant la tête d’un air grave lorsque j’en ai fini.
« Heureusement, nous avons nous aussi quelques tours dans notre sac.
— Oui ? » Il hoche la tête et se lèche les
lèvres, impatient d’entendre ce que j’ai à proposer.
« Mais tout comme tu m’as fait jurer sur mon âme
immortelle, je veux entendre ta promesse, mon ami. Nous sommes logés à la même
enseigne à présent, et tu ne dois en parler à personne – pas même à ton
confesseur. » Je lui dis cela sur un ton aussi glacial que la tombe qui ne
manquera pas de nous accueillir tous les deux s’il manque à sa parole.
Odo hésite. Il ne connaît que trop bien les conséquences de
ce que je suis sur le point de lui demander. Puis, redressant ses épaules
dodues, il hoche la tête.
« Dis-le, Odo, lui fais-je doucement. Je dois
t’entendre le dire.
— Sur mon
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