Will
âme éternelle, je ferai exactement ce que
vous me demandez. Je n’en dirai rien à personne.
— Mon ami, tu as fait le bon choix. Ce n’est pas facile
d’aller contre son supérieur, mais c’est pour la bonne cause.
— Que voulez-vous que je fasse ? » Je vois
son inquiétude croître à vue d’œil maintenant qu’il s’est décidé.
« Nous devons envoyer un message à Bran. Il faut lui
faire savoir ce qui est sur le point d’arriver pour qu’il puisse
l’empêcher. »
Odo est d’accord. Il débouche son encrier et coupe sa plume.
Je le regarde aplanir le bord racorni du parchemin sous ses mains
grassouillettes – je l’ai tant vu faire, mais cette fois je le regarde le
cœur au bord des lèvres. Ne nous laisse pas tomber, moine.
Il trempe sa plume et la tient, plein d’assurance, au-dessus
du parchemin. « Que dois-je écrire ?
— Pas si vite. Ce n’est pas la peine d’écrire en
ffreinc, personne à Cél Craidd ne peut le lire. Sais-tu écrire le saxon ?
— Le latin, me répond-il. Le français et le
latin. » Il hausse les épaules. « C’est tout.
— Alors le latin fera l’affaire. »
Nous nous décidons donc pour un message des plus simples.
Quand nous en avons fini, je le lui fais relire pour voir si nous n’avons rien
oublié. « Et maintenant, nous devons trouver quel mot ajouter pour faire
comprendre à Bran que ça vient de moi et de personne d’autre. Il faut quelque
chose auquel Bran se fiera. »
Je me creuse la tête un bon moment – quelque chose que
seuls Bran et moi connaîtrions… à propos de Tuck, ou d’un des nôtres ?… Et
puis ça me vient. « Odo, mon excellent scribe, à la fin du message,
ajoute : “L’épouvantail a été rasé deux fois ce jour-là : une fois
par erreur, une fois par ruse. À Will l’erreur, à Bran la ruse. Et pourtant
Will a remporté le prix.” Bran ne pourra pas se méprendre. »
Odo me jette un regard interdit.
« Écris ça », lui dis-je.
Il trempe sa plume et se penche sur le petit morceau de
parchemin, maintenant entièrement recouvert de son écriture serrée.
« Qu’est-ce que ça signifie ?
— C’est quelque chose connu seulement de Bran et de
moi, voilà tout.
— Très bien. » Odo se remet à la tâche, puis
relève la tête. « C’est fait.
— Bon. Maintenant, enfile-le sous tes jupes, prêtre, et
garde-le bien hors de vue.
— C’est ma tête si j’échoue. » Il fronce les
sourcils. « Mais comment vais-je trouver Rhi Bran ? »
Qu’il utilise ce nom m’arrache un sourire. « Il est
plus probable qu’il te trouve, je pense. Tout ce que tu dois faire, c’est
emprunter la Route du Roi, et si tu fais exactement ce que je vais te dire, il
ne tardera pas à te trouver. » Je commence à lui expliquer comment attirer
l’attention du Grellon, mais m’arrête en voyant son visage grimacer.
« Quoi encore ?
— Je suis surveillé jour et nuit, fait-il remarquer. Je
ne peux pas aller me promener en forêt. L’abbé m’attraperait avant que j’aie
quitté la ville. »
Il marque un point. « Dans ce cas…» Je le regarde
fixement et une idée me vient. « Alors nous allons chercher quelqu’un en
ville – un Gallois. En dépit de tout, ils sont encore obligés de venir au
marché.
— Quelquefois, admet Odo. Vous feriez confiance à un
Gallois ? Quelqu’un de l’Elfael ?
— Et comment. D’autant plus si le gars sait qu’il va
servir le Roi Corbeau et l’Elfael.
— C’est jour de marché demain, et maintenant que la
neige a fondu il y aura probablement des commerçants d’Hereford et d’au-delà.
Ça fait toujours venir quelques autochtones en ville. Ils ne restent pas
longtemps, mais avec un minimum de vigilance, je devrais pouvoir confier le
message à quelqu’un susceptible de le faire passer. »
Sainte Vierge, bénissez-moi, il y a plus de choses bancales
dans ce plan que de droites. Mais en fin de compte, nous devons bien nous
rendre à l’évidence que nous ne pouvons pas faire mieux. J’en conviens à
contrecœur, et félicite Odo d’avoir pensé à ça. Ce petit compliment semble lui
donner du courage. Il cache le petit morceau de parchemin dans ses robes, puis
se lève pour partir. « J’aimerais prier avant de vous laisser, Will.
— Encore une bonne idée, mon ami. Prie donc. »
Odo courbe la tête, joint ses mains et, debout au milieu de
la cellule, commence à prier. En latin, comme tous les prêtres, aussi
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