Will
ici.
Mais avant-hier, certains visiteurs importants sont arrivés et la ville entière
est devenue folle. Tout le monde s’affaire à préparer une réception spéciale et
un festin. »
De qui donc pouvait-il s’agir ? Mais plutôt que de le
demander à Odo : « Alors pourquoi t’ont-ils laissé venir
aujourd’hui ?
— J’ai supplié l’abbé d’être celui qui allait vous
l’annoncer. » Puis il ajoute, tout doucement : « Et vous
confesser. »
Or donc, ma mort va servir de divertissement pour des hôtes
importants. C’est du Normand tout craché. Ces démons sont incapables de penser
à autre chose qu’à une bonne pendaison pour impressionner leurs supérieurs.
L’idée me rend furieux. Vraiment furieux.
« Alors, nous y voilà », dis-je. Odo est incapable
de prononcer un mot. Il n’a pas bougé d’un pouce, toujours aussi misérable.
Voilà. J’aurais pu espérer que ça finisse autrement.
J’aurais pu regretter de ne pas pouvoir épouser Nóin, de ne pas pouvoir aimer
cette femme comme elle le méritait, que Nia ne connaisse pas les joies d’un
père affectueux, et mille autres choses encore… mais un homme peut passer sa
vie entière à espérer des choses, c’est comme jeter une goutte de pluie dans la
mer démontée, ni plus ni moins.
« Quand est-ce prévu ?
— Avant le festin, dit-il, toujours sans me regarder. À
midi. »
Eh bien, ça me coupe un peu le sifflet, pour sûr. « Au
moins, lui dis-je en essayant de déglutir, je n’aurai pas à y penser
longtemps. » Je tente un sourire, mais mes lèvres ne parviennent à former
qu’un mince rictus affecté. « À rester assis là à ne pouvoir s’empêcher de
penser à une chose pareille – eh bien, un gars pourrait finir par se
démoraliser. »
Odo essaye à son tour de sourire. Sans guère plus de succès.
« Ils vont bientôt venir. Nous devrions commencer.
— Vas-tu entrer t’asseoir avec moi ?
— On me l’a interdit.
— Odo, je t’en prie, après toutes ces journées que nous
avons passées ensemble. Fais-moi au moins le plaisir de t’asseoir avec moi une
dernière fois… comme des amis. »
Il n’a pas le cœur de me le refuser. Il ouvre la porte et
pénètre dans ma cellule, mais cette fois, à en juger par son expression de
tristesse, c’est comme s’il entrait dans un tombeau. D’une certaine façon, je
suppose que c’est le cas.
« Je sais que je n’ai pas arrêté de ronchonner et de
grogner comme un ours, de me plaindre d’avoir mal à la tête presque tous les
jours, lui dis-je. Mais j’ai vraiment apprécié nos discussions. Vraiment.
— Vous avez fait toute la conversation, me fait
remarquer Odo.
— C’est vrai, je te l’accorde. J’estime qu’on ne sait
jamais ce qu’on a accumulé dans sa bourse jusqu’à ce que vienne le temps de
payer le percepteur. »
Il sourit de nouveau. « Percepteur ?
— Nous avons tous une dette envers la nature, Odo,
n’oublie jamais ça. Il faut bien la payer. »
Il hoche tristement la tête. Ses sentiments courent sur le
fil du rasoir, je peux le sentir. Il lutte pour s’empêcher de fondre dans une
flaque de chagrin sur le plancher.
« Confesse-moi, Odo. Je ne veux pas rencontrer notre
Créateur en étant crasseux de péchés et puant le soufre. Allons-y, que je
puisse partir en paix. »
Il produit un petit rouleau glissé dans sa manche. Il
contient les mots réservés aux ultimes instants d’un homme. Ça me rend plus
heureux que je ne l’aurais imaginé. Je savais que je pouvais lui faire
confiance pour me voir tel que je suis. Je sais que notre maudit abbé ne se
serait pas donné autant de peine, c’est un fait. Laissé à ses bons offices, je
serais allé frapper aux portes du ciel comme un pécheur impur, sans défense, au
lieu de porter la robe immaculée d’un saint. Odo m’a garanti que ce n’était pas
près d’arriver, et de ce simple trait d’humour je lui serai reconnaissant pour
toujours.
Oui, et je suis à ça de toujours.
Odo incline sa tête ronde et fait une prière. Sa voix est
douce, humble, comme devrait toujours l’être celle d’un prêtre. Bien qu’il
parle à Dieu en latin, le peu que je comprends me réconforte. Quand il en a
fini, il ajoute en anglais : « Dieu notre Père, Vous qui avez
longuement souffert pour nous. Seigneur plein de grâce et de vérité, Vous nous
arrachez du néant et nous donnez la vie. L’homme né de la femme n’a qu’un temps
bien court
Weitere Kostenlose Bücher