Will
la voix enrouée, et alors frère Tuck prenait le
relais, en menant notre troupeau aux pieds douloureux par le chant. Quand nous
étions à bout de force, il entonnait un hymne et, peu à peu, tout son
enthousiasme se faisait communicatif. Notre marche était alors plus facile, nos
cœurs plus légers, les kilomètres défilaient à un rythme plus rapide. C’est
ainsi que nous avons fini par atteindre les basses collines bosselées des
terres du sud.
Caer Wintan était un bourg commerçant florissant, grâce,
sans doute, à la présence de la résidence royale à proximité. Histoire de
prévenir tout problème, nous avons contourné la ville pour éviter d’attirer
l’attention sur nous plus que nécessaire – nous avons juste envoyé Tuck et
quelques hommes acheter des provisions fraîches.
Nous sommes arrivés avec un jour d’avance et avons campé en
vue de la forteresse du roi – un vieux pavillon de chasse anglais qui
avait jadis appartenu à un comte ou à un duc, je suppose. C’était l’endroit où
William le Rouge passait les quelques jours où il ne courait pas ici ou là pour
consolider son autorité affaiblie. Ça me rappelait le manoir d’Aelred, la
vieille maison de mon comte, mais avec deux longues ailes qui ceignaient une
cour vide et crasseuse devant la grande salle noir et blanc à moitié construite
en bois. Une palissade de bois entourait les lieux pour toute défense, avec la
cabane d’un gardien près de la porte.
Nous avons passé la journée à laver nos vêtements et à
prendre des bains, pour nous débarrasser des stigmates du voyage et nous rendre
présentables en prévision de notre rencontre avec le roi. Au lever du soleil,
le troisième jour après la Saint-Michel, nous nous sommes levés et avons rompu
le jeûne. Alors, nos habits propres et brossés, nos corps lavés et peignés,
nous avons pris la direction de la maison royale, Bran à notre tête, suivi par
Angharad, appuyée sur son bâton et, à côté d’elle, Iwan, qui tenait son arc et
avait un faisceau de flèches à la ceinture. Siarles et Mérian venaient ensuite,
puis le reste d’entre nous sur une longue double file. Nia sur mes épaules, je
marchais aux côtés de Nóin. Au moment de passer la porte, je l’ai sentie
glisser sa main dans la mienne et la serrer. « Je suis heureuse d’être ici
aujourd’hui, m’a-t-elle murmuré. Je m’en souviendrai toute ma vie.
— Moi aussi, ai-je chuchoté. C’est un grand jour, qui
mérite bien qu’on s’en souvienne. »
Nous nous sommes réunis dans la cour royale, et Bran venait
de demander à frère Jago d’informer le gardien que nous venions en réponse à
l’injonction du roi et attendions son bon plaisir. C’est à cet instant que le
comte Falkes de Braose et l’abbé Hugo ont fait leur apparition, accompagnés du
marshal Guy de Gysburne et d’au moins quinze chevaliers. Ils ont surgi des
portes sans se soucier de nos gens, qui devaient se disperser pour les laisser
passer.
Un regard sur notre groupe dépenaillé et les Ffreincs ont
tiré leur épée. Nos propres hommes ont encoché des flèches et choisi leur
cible. Nous nous sommes tous dévisagés, les yeux durs, le visage menaçant,
jusqu’à ce que le comte Falkes rompe le silence. « Bran ap Brychan, a-t-il
déclamé de sa voix nasillarde, et tous vos compatriotes crasseux. Quelle
désagréable surprise !* »
Prenant place aux côtés de Bran, frère Jago lui a chuchoté à
l’oreille les salutations du comte. Je n’avais pas besoin de traduction pour
savoir qu’il avait proféré des paroles d’insultes à notre égard.
« Comte Falkes, votre arrivée est aussi inopportune
qu’importune, lui a-t-il répondu d’un ton dégagé. Que faites-vous ici ?
— Je pourrais vous retourner la question. J’ai cru que
vous étiez mort.
— Je suis tel que vous me voyez. Mais il semble que
vous-même accabliez encore ces terres de votre présence. Je vous ai demandé ce
que vous faisiez là. »
Le marshal Gysburne a marmonné un juron en réponse, et plusieurs
chevaliers nous ont craché dessus. Je voyais la colère envahir les traits du
comte, mais il est resté maître de lui. « Le roi nous a convoqués. Je ne
peux pas croire que vous soyez ici par hasard.
— Nous avons pareillement été convoqués, a répliqué Bran.
Il va donc falloir nous résoudre à suspendre nos hostilités au moins le temps
de rencontrer le roi. »
Avec une certaine réticence, m’a-t-il
Weitere Kostenlose Bücher