11 Septembre... 1973
visa
diplomatique.
Les ennuis étaient prévisibles. Ils étaient
attendus. Avant que Pinochet n'entreprît son déplacement, le ministre des
Affaires étrangères chilien, José Miguel Insulza, avait averti le Président de
la république, Eduardo Frei, qu'il était "dangereux" que le général
voyageât en Europe, où des juges "avaient placardé son portrait sur des
avis de recherche". Le gouvernement chilien savait que le juge espagnol
Manuel Garcia Castellon instruisait son cas au Chili. Mais il ignorait, en
revanche, que le juge espagnol Baltasar Garzon enquêtait sur les assassinats
commis dans le cadre du plan Condor, une action conjointe de répression
entreprise par les services secrets des dictatures d'Argentine, du Chili, du
Paraguay, du Brésil, de Bolivie et d'Uruguay entre 1975 et 1986. Eduardo Frei a
averti Pinochet : "Ce voyage nous préoccupe, mon général. Permettez-moi de
vous le déconseiller".
Mais Pinochet a dépêché un émissaire en Espagne,
le général Fernando Tours Silva, qui, après avoir consulté la Cour nationale de
justice, a acquis la certitude qu'il ne se passerait rien, car la justice
espagnole n'était pas compétente. En Espagne même, seul un très petit nombre de
personnes étaient au courant des intentions de Baltasar Garzon et connaissaient
le mécanisme qu'il s'apprêtait à actionner. Le gouvernement chilien finit par
habiliter le dictateur avec un passeport diplomatique qui porte en page 9 la
mention : "Ambassadeur en mission spéciale pour le Chili à Londres,
Angleterre".
À Londres, Pinochet loge au luxueux hôtel
Harrod's. Il reçoit ses amis militaires, prend le thé avec Margaret Thatcher,
collectionne les biographies de Napoléon, visite le Musée de cire de Madame
Tussaud, le Musée de l'Armée britannique et accorde des entretiens à la presse.
Il rencontre aussi le fils de Margaret Thatcher,
Mark, avec lequel il partage la passion du commerce des armes. La
Grande-Bretagne a été l'un des fournisseurs du Chili de Pinochet et The Royal
Ordnance, privatisée et rachetée par British Aerospace en 1987, a invité le
dictateur à visiter ses installations. Un autre marchand d'armes, le syrien
Monzer Al Kassar, résidant à Marbella, en Espagne, que devait rencontrer le
général, se portera par la suite au secours de ce dernier en déclarant que :
"Si le général Pinochet a des difficultés, je prends à ma charge les
dépenses de sa défense avec le plus grand plaisir".
Renseigné par Scotland Yard sur le lieu de
résidence de Pinochet, le juge Baltasar Garzon engage la procédure judiciaire.
Les agents britanniques ont prévenu le magistrat qu'ils ne pourraient pas
empêcher le général de repartir au Chili sans un mandat d'arrêt.
Avec tout le poids de l'histoire, Baltasar Garzon
lance un mandat d'arrêt international pour "délits de terrorisme, génocide
et torture", dans le cadre de la participation du général au plan Condor.
Pinochet est notamment accusé d'avoir été responsable de la séquestration de 90
personnes, qui furent par la suite transférées en Argentine, où elles
disparurent. Juge espagnol, Baltasar Garzon fonde son action sur le principe de
la "compétence universelle". Ce dernier permet de poursuivre les
auteurs des crimes les plus graves, violant les droits les plus fondamentaux,
quels que soient le lieu de l'infraction, la nationalité du criminel ou celle
de sa victime. Cette compétence s'exerce en vertu de traités internationaux, à
condition que ceux-ci aient été ratifiés par les pays concernés. La Convention
des Nations unies contre la torture contraint, par exemple, tout État
signataire à juger les tortionnaires qui se trouvent sur son territoire ou, à
défaut, à les livrer à un autre État, si celui-ci demande leur extradition. En
vertu de cet accord, la Grande-Bretagne était dans l'obligation d'arrêter le
dictateur et de le mettre à la disposition de la justice espagnole.
Dans la nuit du 16 octobre 1998, l'inspecteur
Andrew Hewitt, l'interprète Jean Pateras, de Scotland Yard, et un bobby en
uniforme se présentent donc à l'entrée de la chambre de Pinochet, au huitième
étage de la London Clinic, où le général a été opéré d'urgence pour une hernie
discale.
Au même moment, le président Eduardo Frei et son
épouse se trouvent à Porto, au Portugal. Quand la première dame chilienne
apprend la nouvelle, elle se trouve en compagnie de son compatriote, l'écrivain
Jorge Edwards. Elle s'exclame
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