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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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des
Églises et de l’État, là encore pour fustiger l’aventure coloniale au Tonkin.
Des passes d’armes, il en avait conduit d’un esprit intrépide, contre Ferry,
contre Jaurès, contre Dreyfus, pour Lyautey.
     
    Tel était Adrien Albert Marie, comte de Mun. Parlementaire
du Morbihan, il avait représenté pendant vingt années au palais Bourbon la
circonscription de Morlaix. Il siégeait à l’extrême droite. Légitimiste de
stricte obédience, de Mun avait défendu la Restauration monarchique avant de se
rallier finalement à la République dans le sillage des positions du pape Léon XIII
et de la doctrine sociale de l’Église.
    Adversaire acharné du libéralisme comme du socialisme, le
comte de Mun était le représentant rêvé de la réaction, faisant les délices des
caricaturistes. Et pourtant il s’était battu en faveur des lois sociales de
cette « gueuse » qu’il n’avait acceptée que du bout des lèvres !
Quand ce n’était pas vraiment la mode, il avait soutenu une réglementation du
travail des femmes ainsi que l’interdiction du travail des enfants. Évidemment,
son modèle à lui était le corporatisme de l’Ancien Régime et pas le
syndicalisme ouvrier. Il n’en avait pas moins légitimé sa place dans le paysage
politique national.
    Légitime, de Mun l’était aussi par son verbe. Une plume
souvent acerbe et une parole volontiers fielleuse avaient consacré un talent de
polémiste largement redouté. Ce talent lui avait ouvert les portes de
l’Académie française, sans pour autant que son ardeur s’en trouve tempérée.
    À soixante-treize ans passés, de Mun restait le fringant
cyrard, capitaine de cavalerie qu’il avait été dans sa jeunesse. Vétéran de la
guerre franco-prussienne, il espérait seulement ne pas fermer les yeux avant la
revanche, cette partie suprême qu’il attendait depuis quarante-quatre ans.
C’est dans cet esprit qu’il avait ouvert son article, intitulé « La France
debout ! » : « Aujourd’hui donc, si j’entends bien l’écho
des âmes, deux sentiments les remplissent, l’indignation et la fierté,
l’indignation contre cette Allemagne, brutale et fourbe, qui jette,
volontairement, l’Europe dans la plus affreuse des catastrophes, la fierté pour
notre France aimée, qui, bravement, tranquillement, sans jactance et sans
faiblesse, accepte le défi et relève le gant qu’on lui jette à la face [311] . »
Petrograd, 2 août, 15 h 00
    Au palais d’Hiver, le spectacle était grandiose. Dans le
salon de malachite, le tsar venait de signer solennellement la déclaration de
guerre. Le cérémonial prévoyait qu’il s’adresse ensuite à son peuple. Plus de
cinq mille invités s’étaient entassés dans l’immense galerie de Saint-Georges,
aux murs de marbre blanc et aux colonnes de bronze doré, qui donnait sur le
quai de la Néva.
    En costume de gala, les dignitaires de la cour occupaient
les premiers rangs. À leur côté, le Saint-Synode et les évêques en chasubles
amarante. Les gardes à cheval et les chevaliers-gardes, qui composaient la
garnison, avaient revêtu leur uniforme de campagne.
    Au centre de la salle avait été disposé un autel recouvert
de pourpre. Du sanctuaire national de la Perspective Nevski, où elle était
habituellement exposée, on avait transporté l’icône miraculeuse de la Vierge de
Kazan. Le symbole était fort. C’était devant la sainte image que le glorieux
maréchal Koutouzov, le vainqueur de Napoléon, avait longuement prié en 1812
avant de rejoindre son armée à Smolensk.
    Un silence religieux se fit au moment où le cortège impérial
en tenue d’apparat traversa la galerie pour se ranger à la gauche de
l’autel. Le Te Deum put débuter, magnifié par les incantations profondes
et pathétiques de la liturgie orthodoxe.
    Le visage grave et fermé, Nicolas II se recueillait
intérieurement. L’expression ardente de son regard reflétait une ferveur
mystique liée à l’intensité de l’instant. À sa gauche, le buste raide et la
tête haute, l’impératrice Alexandra Feodorovna se dominait visiblement pour se
composer une contenance. Elle détestait la foule tout autant qu’elle la
craignait, même en ce lieu. Ses yeux vitreux et ses lèvres violacées
trahissaient la femme anéantie : le masque d’une morte, pensèrent certains
invités témoins de la scène.
    À l’issue de l’office, faisant face au Procurateur du
Saint-Synode, l’aumônier de la cour lut le

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