1914 - Une guerre par accident
nettement moins crédible. Et il avait
face à lui le ministre des Affaires étrangères Davignon.
Non sans talent, von Below refit son numéro. La
diplomatie était un éternel théâtre d’ombres. Chacun y avait son rôle et le
sien était de circonvenir. La Prusse hier, le Reich allemand aujourd’hui
étaient les meilleurs garants de l’intégrité de la Belgique. Berlin
restait fidèle à la grande sagesse bismarckienne.
— En ce cas, pourquoi n’avez-vous pas répondu à la
demande anglaise au sujet de la neutralité de notre pays ? La France a
bien répondu, elle [308] .
Une fois encore, von Below ergota, louvoya. Il avait
presque les larmes aux yeux lorsqu’il se lança dans l’évocation des liens de
parenté entre le Kaiser et le roi Albert, un Hohenzollern par sa mère la
princesse Marie. Allons, tout ceci n’était que péripéties et ne pourrait que
s’arranger au mieux.
Décidément en verve, le ministre d’Allemagne accorda peu
après une interview au quotidien Le Soir . Tout Bruxelles en retint une
phrase, rassurante entre toutes : « Le toit de votre voisin brûlera
peut-être, mais votre propre maison sera en sécurité [309] . »
Paris, 2 août, 11 h 45
Le Conseil des ministres venait de se terminer et la tension
était palpable. La France retenait son souffle avant de s’installer dans la
mobilisation. Avant le saut dans l’inconnu.
Messimy avait apporté à Poincaré et Viviani le rapport de
Joffre sur le premier incident de frontière. Trois heures plus tôt à Joncherey,
au sud du territoire de Belfort, un affrontement avait opposé des uhlans à des
fantassins du 44 e régiment d’infanterie française. Un
affrontement bref mais meurtrier. Le caporal Peugeot y avait laissé la vie. Cet
instituteur était le premier mort français de cette guerre qui n’avait pas
encore été déclarée. Côté allemand, sept soldats avaient été abattus. Sinistre
prologue.
Les rues de Paris s’étaient progressivement vidées de leurs
automobiles et de leurs promeneurs. Sur le Champ de Mars, quelques badauds
désignaient du doigt des sentinelles montant la garde aux deux derniers étages
de la tour Eiffel. Les Parisiens ignoraient que l’état-major militaire avait
décidé de faire du célèbre monument d’acier un site stratégique de première
importance.
Quelques années plus tôt, espérant sauver sa tour vouée à la
destruction, Gustave Eiffel en personne avait accepté l’idée du capitaine
Ferrié, un polytechnicien spécialiste des transmissions radiophoniques. Ce
dernier souhaitait y installer une antenne. Aujourd’hui, cette antenne était
capable d’émettre dans le monde entier. Personne ne le savait encore mais elle
permettrait de capter les signaux allemands et de déjouer, un mois plus tard,
l’attaque de l’armée allemande sur la Marne.
Un peu plus loin, sur l’esplanade de l’École militaire, un
régiment de cuirassiers, sabres au clair et casques rutilants, trottait majestueusement
en direction de la place de l’Alma sur la rive droite de la Seine. Leur
destination finale était évidemment secret militaire mais les piétons se
doutaient bien qu’ils entamaient un long chemin vers le nord et la Belgique.
À Saint-Cyr, on célébrait en grande pompe et dans la liesse
la sortie de la dernière promotion de l’École militaire. Signe
prémonitoire ? Les intégrés l’avaient baptisée « La Grande
Revanche ». Il y eut une entorse au cérémonial traditionnel. Avec
l’assentiment de la hiérarchie, un jeune officier sortit des rangs et s’adressa
à ses camarades :
— Faisons le serment que notre première charge, nous la
ferons en casoar et en gants blancs [310] !
Comme un seul homme, les 774 officiers de la promotion
prêtèrent serment dans l’enthousiasme et dans l’esprit chevaleresque qui
animait ce corps d’élite. Puis le silence retomba. On eût dit un silence de
condamnation à mort.
*
Le vieux lutteur donnait ses ultimes coups de griffes.
Penché sur ses feuillets, Albert de Mun achevait fiévreusement un nouvel
article sur la situation en Europe. Il se sentait presque rajeunir.
Des articles, il en avait écrit des dizaines durant sa
carrière, pour Le Figaro , La Croix ou Le Gaulois .
Aujourd’hui, pour L’Écho de Paris . Des combats, il en avait livré plus
qu’il n’en aurait fallu, en trente ans de vie politique : ici pour
défendre le général Boulanger, là pour condamner la loi de séparation
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