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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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manifeste du tsar à son peuple.
D’une voix posée, il énuméra les raisons de la guerre, en appela aux énergies
nationales, invoqua l’aide du Très-Haut. Pâle et concentré, le tsar s’approcha
de l’autel et éleva la main droite vers les Saints Évangiles :
    — Officiers de ma garde, ici présents, je salue en vous
toute mon armée et je la bénis. Solennellement, je jure que je ne conclurai pas
la paix tant qu’il y aura un seul ennemi sur le sol de la patrie [312] .
    Au mot près, c’était le serment qu’avait prononcé en ces
lieux l’empereur Alexandre I er en 1812. La tsarine ferma
convulsivement les yeux, comme effrayée par ce qu’elle voyait. Le grand-duc
Nicolas Nicolaïevitch se précipita sur l’ambassadeur de France Paléologue, le
seul étranger admis à cette cérémonie, et l’embrassa avec fougue.
    Plusieurs salves sourdes de hourras firent écho à cette
déclaration. Un tumulte enthousiaste parcourut la salle, bientôt prolongé par
les clameurs de la foule qui s’était amassée sur les bords de la Néva.
    Quelques instants plus tard, la famille impériale apparut au
balcon. Sur la place Alexandre, les vivats redoublèrent. De la multitude
émergeaient çà et là des drapeaux aux couleurs de la Sainte Russie, des
bannières militaires, des banderoles exhibant des slogans patriotiques à la
gloire du génie slave. Certains brandissaient des icônes, d’autres des
portraits du Petit Père des peuples.
    La foule entonna Dieu sauve le tsar . Le temps était
comme suspendu. Beaucoup se signaient et s’agenouillaient en signe de respect.
Parmi ces gens agglutinés dans une même ferveur, des soldats, des bourgeois,
des ouvriers. Des réactionnaires, des conservateurs, des progressistes et même
des hommes qui, la veille encore, étaient sur les barricades des grévistes.
    *
    À Paris, au sein de la communauté russe en exil, la ferveur
était absente. Il y régnait cependant une atmosphère presque aussi exaltée
qu’au palais d’Hiver.
    Cette communauté était celle des socialistes russes purs et
durs, de ces révolutionnaires qui, dans l’ombre, travaillaient sans relâche à
la chute du tsarisme. Le 2 août, ils étaient quatre-vingt-quatorze
irréductibles à ouvrir l’Assemblée générale des Bolcheviks de Paris. Cela
faisait plusieurs jours qu’on n’avait plus de nouvelle fraîche en provenance de
Russie. Les grèves révolutionnaires dans les villes avaient été un succès. Mais
qu’en adviendrait-il, maintenant qu’il y avait la guerre ? Et
d’ailleurs, cette guerre, comment l’envisager ?
    Les grands chefs étaient tous éloignés de Paris. Lénine
rongeait encore son frein près de Cracovie, brûlant d’impatience à l’idée de
rentrer à Petrograd. C’était encore trop tôt. Léon Trotsky, lui, était à Vienne
entre deux errances. Plus pour très longtemps sans doute. De tous les
fondateurs du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, seul était présent dans
ce vieil immeuble du XIV e  arrondissement de Paris Georges
Valentinovitch Plekhanov. Ce n’était pas rien.
    Plekhanov avait le prestige de celui qui, le premier, avait
introduit le marxisme en Russie. Depuis les premiers narodniki , une
quarantaine d’années plus tôt, il avait été de tous les combats. Il avait
côtoyé Friedrich Engels. Mais il n’était pas bolchevik et l’avait proclamé haut
et fort. Certains le lui reprochaient et le disaient vieillissant. Le chef
historique n’avait pourtant que cinquante-huit ans. Déjà trop vieux pour la
révolution ?
    Les débats s’engagèrent. Animés, abstraits comme à
l’accoutumée. Comme si de rien n’était. La majorité des participants se déclara
contre la guerre. Une guerre « capitaliste » dans laquelle le prolétariat
ne pouvait se reconnaître. Plus cyniques, certains firent valoir que cette
guerre, après tout, pouvait bien signer la fin du tsarisme. C’était la position
de Lénine, celle des jusqu’au-boutistes. D’autres enfin, plus rares, osèrent
soutenir la guerre patriotique dans la grande tradition russe. Plekhanov était
de ceux-là. Non sans courage, il adjura l’assemblée :
    — Nous sommes tenus moralement de défendre notre patrie
si elle est assaillie ou si elle fait une guerre juste, inévitable [313] …
    Un silence poli accompagna la supplique de Plekhanov. Puis
on passa au vote. Seuls onze participants osèrent résister à la pression
ambiante et se déclarer favorable à la

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