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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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n’avait pas de prix. Hémophile de naissance, le tsarévitch, âgé
d’une dizaine d’années, était sujet à de violentes hémorragies que les médecins
étaient incapables de soigner. À plusieurs reprises déjà, on avait administré à
Alexis l’extrême-onction. Seules les prières de Grigori Efimovitch s’étaient
révélées efficaces et même l’académie de médecine avait dû en convenir.
    Raspoutine ? Un strannik pour ses contempteurs,
un vagabond venu de nulle part et à la réputation nauséabonde : jouisseur,
buveur, amateur immodéré de femmes et de parties débridées. Il passait aussi
pour un guérisseur et même, à en croire certains, pour un homme de foi et de
sagesse. Un staretz authentique. Au fin fond de sa province, n’accomplissait-il
pas des miracles ? Faussement modeste, il faisait mine de s’en
défendre :
    — Ce n’est pas moi qui guéris, c’est Dieu [27]  !
    La réputation de Grichka se ferait légende, au gré de ses
illuminations mystiques. En ce temps-là, la Russie profonde était la terre
d’élection des khlystys , ces orthodoxes un peu possédés qui mêlaient la
danse, l’extase voire la sensualité érotique à la religion.
    Grichka s’introduisit dans les milieux de la cour impériale
grâce à la grande-duchesse Militza, la fille du roi de Macédoine. C’était en
1904. Il devint vite la coqueluche de la haute société et, en particulier, de
ces dames de l’aristocratie russe fortunée : d’Olga Lokhtina, épouse d’un
conseiller d’État influent, à Anna Vyroubova, confidente de la tsarine, en passant
par la propre nièce du tsar, Mounia Golovina.
    Par leur truchement et par celui d’autres personnes
influentes comme la baronne Iksul ou la comtesse Ignatiev, Grichka put accéder
au monde de la grande politique et de la haute finance. Il apprit à connaître
des hommes puissants tels le président du Conseil Serge de Witte, l’industriel
Alexis Poutilov ou le banquier Dimitri Rubinstein.
    Tous furent intrigués par cet étrange personnage,
mi-charlatan mi-prédicateur. La plupart s’en entichèrent. Les dames se glissèrent
dans son lit sans barguigner, nullement rebutées par ses cheveux graisseux, ses
mains calleuses et sa saleté repoussante. Elles ne retinrent que le magnétisme
envoûtant qui émanait de sa personne, et surtout ce regard hypnotique qui les
subjuguait. Peu d’entre elles eurent le courage d’admettre que les séances
d’exorcisme et de prières de ce moine inspiré n’étaient rien d’autre que de la
débauche.
    L’ascendant de Raspoutine opéra jusqu’auprès du couple
impérial. Très portée sur le spiritisme et les sciences occultes, la tsarine
Alexandra Feodorovna se convainquit qu’il était un messager de Dieu. Elle ne
devait pas lui marchander faveurs et protection.
    L’un des rares à rester insensibles à la séduction de
Grichka fut Piotr Stolypine, président du Conseil au début des années 1910.
Esprit rationnel et grand réformateur, Stolypine ne supportait pas l’influence
de ce moujik inculte sur la famille du tsar. Il écarta Raspoutine de la cour
puis le fit exiler. Dépité, celui-ci prédit la mort prochaine du ministre :
« La mort suit sa trace, la mort chevauche sur son dos [28] … »
    Cela se passait au printemps 1911. En septembre de la
même année, Stolypine était assassiné en plein opéra de Kiev par un jeune
anarchiste.
    En juin 1914, le prestige de Raspoutine était à son
zénith à la cour. Son influence était devenue politique. On disait qu’il avait
le pouvoir de faire et de défaire les gouvernements. D’aucuns le suspectaient
de rechercher une entente avec l’Allemagne et d’être un partisan de la paix à
tout prix. C’était un peu trop lui prêter. L’homme n’avait aucun goût pour
les affaires diplomatiques. Fort de son seul bon sens, il considérait que
la Russie était trop affaiblie. Elle ne survivrait pas au choc d’une nouvelle
guerre. Il y allait du salut de la dynastie tricentenaire des Romanov.
    Au fil des années, Raspoutine était devenu la bête noire des
nationalistes russes d’extrême droite comme Alexander Dubrovin ou Vladimir
Pourichkhevitch. Ceux-ci avaient fondé le mouvement des Cent-Noirs.
Réactionnaire et xénophobe, fidèle à la devise tsariste « Autocratie,
Orthodoxie, Force nationale », ce mouvement enrôlait toutes sortes de
marginaux et de désaxés. Parmi eux, un fanatique du nom de Serguei Trufanov qui
se faisait

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