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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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mauvaise fortune bon cœur :
    — Nous irons, c’est d’accord. Mais, nom de Dieu, quelle
sacrée corvée ! Quel besoin avons-nous d’aller en Russie [77]  ?
Bruxelles, 6 juillet, 18 h 00
    Le meeting du parti ouvrier belge touchait à sa fin. Dans
l’assistance, les visages exprimaient le soulagement. Le président de séance
Émile Vandervelde, qui était à la tête de la Seconde Internationale ouvrière,
ne tarissait pas d’éloges sur l’orateur du jour. Ce dernier avait pourtant
l’air contrarié. Ils avaient pris du retard et il n’aurait pas le temps, cette
fois, d’aller admirer les peintres primitifs flamands au musée d’Art ancien
avant de reprendre le train pour Paris.
    La silhouette massive, le visage carré, le pas lourd mais le
regard illuminé, tel était Jean Jaurès qu’on désignait déjà comme la conscience
de l’Europe.
    À cinquante-quatre ans, cet « athlète de l’idée »,
comme le décrivait Léon Trotsky, était déjà une légende. Député des mineurs de
Carmaux, universitaire normalien – il avait été reçu major rue d’Ulm
devant Henri Bergson –, Jaurès venait de loin au sein de la famille
républicaine. Réputé modéré, il avait conservé ses habitudes de
petit-bourgeois, tenant ainsi à ce que sa fille Madeleine fasse sa première
communion à l’église. Réformiste, il s’était rapproché des républicains
« opportunistes » et avait soutenu Jules Ferry. Son socialisme
n’était venu que plus tard mais comme une évidence.
    En 1914, Jaurès était devenu le chef incontesté du parti socialiste
SFIO (section française de l’Internationale ouvrière) qu’il avait porté sur les
fonts baptismaux avec Jules Guesde une dizaine d’années auparavant. Il avait
bataillé âprement. Pour préserver l’unité de la famille socialiste, il avait dû
abandonner toute idée de soutien au gouvernement. En contrepartie, il avait
obtenu que la SFIO renonce à ses chimères révolutionnaires marxistes et accepte
la démocratie représentative. Bien en avait pris aux socialistes. Aux élections
générales de mai 1914, ils avaient remporté 101 sièges. Déjà, on
supputait la formation d’un cabinet Caillaux-Jaurès pour la rentrée. Le
président Poincaré ne pourrait éternellement s’y opposer.
    Théoricien talentueux, tribun inspiré, Jean Jaurès marquait
de son rayonnement la gauche française. Depuis la disparition en 1913 du leader
du SPD (parti social-démocrate allemand) August Bebel, le « pape » de
l’Internationale, il avait pris l’ascendant sur ses collègues socialistes
européens. Certains caciques le jalousaient comme l’Allemand Karl Kautsky.
Pourtant, même ceux-ci étaient fascinés par cet homme qui irradiait
l’intelligence et la joie de vivre.
    Comme tous les chefs de la social-démocratie, Jaurès n’avait
pas été spécialement perturbé par les événements de Sarajevo. Jusque-là, au gré
des crises, l’Europe avait su éviter le pire. Il en serait probablement de même
cette fois-ci encore. Jaurès en avait cependant tiré une conclusion :
    — Maintenir coûte que coûte les questions de défense
nationale au cœur du débat politique.
    Il avait perdu la première manche. C’était un an plus tôt,
en juillet 1913, lorsque le Parlement avait voté la loi des trois ans sur
le service militaire. Jaurès s’était résolument opposé à cette loi et ce
n’était pas par antimilitarisme primaire. Il n’avait pas eu la naïveté d’y
voir, comme certains de ses amis politiques, une œuvre basse du cléricalisme et
de la réaction. Avec son frère cadet Louis, qui était devenu amiral, il s’était
insurgé contre le mot de Karl Marx suivant lequel « les prolétaires n’ont
pas de patrie » : « c’est l’idée sacrifiée à la boutade »,
avait-il critiqué vertement.
    Pour autant, Jaurès n’avait pas d’illusion sur les fauteurs
de guerres et il ramenait les tensions internationales aux rivalités
capitalistes. Il l’avait écrit sans ambages : « Le capitalisme porte
en lui la guerre comme la nuée l’orage. » Il avait fait encore mieux lors
du Congrès extraordinaire de l’Internationale, à Bâle en novembre 1912.
Dans un discours d’anthologie, il avait rappelé sur un ton vibrant l’inscription
que Schiller avait gravée sur la cloche de la cathédrale : «  Vivos
voco, mortuos plango, fulgura frango  ». Et il lui avait donné une
signification actualisée : « J’appelle

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