1914 - Une guerre par accident
lendemain de la seconde crise marocaine. Le
contexte non plus. Seuls demeuraient les mêmes acteurs de part et d’autre.
Churchill reprit :
— Croyez-vous vraiment que vous retrouverez votre ami,
je devrais d’ailleurs dire « notre » ami, dans les mêmes dispositions
d’esprit ?
— Oh ! Vous savez, lui très certainement. Je n’ai
pas le moindre doute à ce sujet. Quant au Kaiser et à son entourage, c’est une
autre affaire…
L’ami en question s’appelait Albert Ballin. Cassel l’avait
rencontré pour la première fois à l’été 1908 et il s’était entendu d’instinct
avec l’armateur allemand. Les deux hommes parlaient le même langage et leur
vision respective des choses était assez proche. Juif allemand tout comme
Ballin, Ernest Cassel avait pourtant suivi un itinéraire différent. Ce natif de
Cologne avait émigré très jeune en Angleterre où il s’était vite imposé grâce à
son sens aigu de la finance. Ses placements judicieux avaient fait la fortune
de bien des banques, de Liverpool à Paris et jusqu’aux milieux très fermés de
la City londonienne.
Sur un plan personnel, Ernest Cassel était devenu un homme
riche. Il n’avait même pas trente ans que le montant de son patrimoine
s’élevait déjà à quelque 150 000 livres sterling (cinquante fois plus
de nos jours). C’est alors que sa route avait croisé celle du prince de Galles.
Les deux hommes avaient sympathisé aussitôt. Le prince héritier avait fait de
Cassel son conseiller financier et son banquier privé. Devenu roi, Édouard
n’oublia pas d’élever son ami à la pairie tout en lui ménageant une fonction
semi-officielle à la cour. Jusque dans ses dernières années, le souverain
garderait l’habitude de venir régulièrement dans la demeure de sir Ernest
pour y faire une partie de bridge.
Winston Churchill était également un proche de Cassel. À la
mort de son père Randolph, en 1895, Winston avait demandé à son ami banquier de
veiller à ses finances privées dont il avait une gestion plutôt fantaisiste.
Cassel s’en était occupé comme il savait si bien le faire. Il avait introduit
de la rigueur dans les comptes du jeune homme. Il avait investi pour lui dans
des actions de chemin de fer qui devaient s’avérer superbement rentables. Il
lui avait même prêté de l’argent lorsqu’il était parti en Afrique du Sud pour
couvrir la guerre des Boers comme correspondant pour le Morning Post .
Par la suite, Cassel n’avait pas perdu de vue Winston Churchill dans sa
carrière politique : député libéral de Manchester, ministre du Commerce
dans le cabinet Asquith puis ministre de l’Intérieur.
En octobre 1911, Churchill avait franchi un cap décisif
en devenant Premier Lord de l’Amirauté. Patron de la marine britannique, garant
suprême de la sécurité de l’Angleterre !
Au grand étonnement de Cassel, Churchill le dilettante avait
pris ses fonctions réellement à cœur. Aventurier passionné d’aviation, il
s’était vite transformé en « véritable enragé de marine », comme le
claironnait à ses lecteurs le Pall Mall Gazette [81] . Churchill se délectait de tout ce qui concernait l’Amirauté, des deux
dauphins de pierre gardant l’entrée du bâtiment jusqu’au mobilier qui ornait
son bureau et dont certaines pièces avaient été léguées par le glorieux Nelson.
Churchill connaissait les enjeux ainsi que l’ennemi de
l’Angleterre. Sa hantise était ce qu’un document de l’Amirauté qualifiait de
péril le plus vraisemblable guettant le pays : « l’interruption de
notre commerce et l’anéantissement de notre marine marchande ». En ce
temps, l’Angleterre importait encore les deux tiers de son alimentation et les
quatre cinquièmes de son blé. Les échanges maritimes restaient plus que jamais
vitaux pour les îles Britanniques. L’ennemi ? Là encore, Churchill ne
s’était guère trompé de cible en ordonnant à sa flotte de se tenir « prête
pour la guerre dans l’éventualité d’une attaque allemande ». Peu après, il
se dirait publiquement heureux « qu’il y ait une mer entre cette armée
(l’armée allemande) et l’Angleterre ».
Churchill, au demeurant, ne faisait que reprendre une idée
largement partagée en Angleterre. Dès septembre 1902, le Daily Mail s’était ouvertement interrogé dans un éditorial : « Qui la flotte
allemande menace-t-elle ? » La réponse était parvenue peu après sous
la forme
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