1914 - Une guerre par accident
rassurants auprès des
chancelleries européennes.
Instigateur de l’opération, le comte Berchtold était le seul
ministre au courant. Les autres, le président du Conseil compris, avaient été
tenus à l’écart. L’allié allemand tout autant. Berlin n’avait-il pas clamé haut
et fort, dès le début, que l’Autriche seule avait la main dans cette
affaire ? En vérité, la Wilhelmstrasse ne s’était pas trop agitée pour
avoir la primeur de l’ultimatum. L’ambassadeur von Tschirschky avait fait
une vague tentative en ce sens. Il n’avait guère insisté, n’ayant pas envie
d’être désavoué une nouvelle fois par son empereur.
Il fallait à présent que le texte de l’ultimatum fût
approuvé en Conseil des ministres. Ce ne serait pas trop compliqué. En une
dizaine de jours, les choses avaient beaucoup évolué à Vienne. Le rapport
Wiesner, s’il ne mettait pas directement en cause le gouvernement de Belgrade,
établissait que l’assassinat de l’archiduc avait bel et bien été fomenté en
Serbie. Loin de regretter l’attentat, la presse serbe ne cessait depuis lors de
le justifier et d’en faire porter l’entière responsabilité sur l’Autriche. De
son côté, la presse autrichienne ne faisait pas dans la dentelle. L’escalade
verbale et la multiplication des insultes mutuelles devenaient dangereuses.
Si, à Vienne, les bellicistes n’avaient pas varié d’un iota,
les modérés, eux, révisaient leurs positions à grands pas. Le comte Tisza en
faisait partie. C’est à sa demande expresse que se réunissait le Conseil des
ministres extraordinaire de ce 19 juillet. À son habitude, l’homme qu’on
qualifiait de « cerveau le plus capable du pays » ne s’embarrassa pas
de précautions en s’adressant à ses collègues :
— J’ai bien compris que cet ultimatum est une déclaration
de guerre à la Serbie. Comme je vous l’ai déjà dit, je crois que cette guerre
est inutile et que, de toute façon, l’Autriche-Hongrie en ressortira perdante…
Silence glacial dans la salle du Conseil. Les ministres
faisaient mine de se plonger dans leurs dossiers. Tisza reprit :
— … pour ma part, je ne mène que les combats que
je peux gagner. Je sais que je ne parviendrai pas à vous convaincre. Je
soutiendrai donc le projet d’ultimatum. En contrepartie, je vous demande de
prendre l’engagement que la guerre qui en résultera reste localisée à la
Serbie.
Berchtold se rembrunit :
— Monsieur le Président du Conseil, expliquez-nous, je
vous prie, comment on peut savoir à l’avance si un conflit restera localisé ou
non.
— On ne peut évidemment le savoir dans l’absolu. Disons
alors que l’Autriche ferait un grand pas en ce sens en prenant l’engagement de
ne réaliser aucune acquisition territoriale.
Le comte Stürgkh ne dissimulait pas son irritation :
— Renoncer à priori à toute acquisition
territoriale ! Mais c’est impossible !
— C’est pourtant ma condition et je resterai
intraitable sur ce point [109] .
Le Conseil des ministres comprit qu’il fallait lâcher du
lest sans quoi Tisza ferait tout capoter. À l’unanimité fut donc prise la
décision qu’« aussitôt après le déclenchement de la guerre, une
déclaration serait faite aux puissances étrangères que la monarchie ne fait
aucunement une guerre de conquêtes et ne projette pas l’annexion du royaume [110] ».
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Berchtold se dit
que c’était sans doute le prix à payer. Ce prix était somme toute véniel. Une
fois la guerre commencée, qui se sentirait vraiment lié par une telle
déclaration ? Certainement pas Conrad von Hötzendorf qui avait déjà
exprimé sa façon de penser. Ni même d’ailleurs l’empereur François-Joseph qui
semblait contrôler de moins en moins les choses.
Plus singulier, aux yeux de Berchtold, était le ralliement
de Tisza à une action rapide contre la Serbie. Au fond, le chef de la
diplomatie autrichienne connaissait assez peu le Hongrois. Il ne savait pas à
quel point ce vieux politicien savait évaluer les rapports de force et en tirer
parti.
Tisza avait compris que l’Autriche s’était ralliée, avec le
prétexte de Sarajevo, à une politique agressive envisagée de longue date. Une
politique à laquelle, précisément, François-Ferdinand s’était jusque-là opposé.
À lui seul, Tisza n’était pas de taille à résister. Dans ces conditions, tant
qu’à faire la guerre à
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