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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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beaucoup de
chagrin, pas d’éclaircie, mer de larmes sans bornes. Et de sang ? Que
dirai-je ? Il n’y a pas de mots, mais une horreur indescriptible. Je sais
que tous veulent de toi la guerre, même les fidèles sans savoir que c’est pour
la ruine. Dur est le châtiment de Dieu ; lorsqu’il ôte l’intelligence,
c’est le début de la fin. Tu es le tsar, le père du peuple, ne laisse pas les
fous triompher et perdre eux-mêmes et le peuple… Tout se noie dans un grand
sang… Grigori Efimovitch [227] . »
Paris, palais de l’Élysée, 30 juillet, 23 h 15
    Dans son bureau de l’Élysée, Poincaré prenait brusquement
toute la mesure d’une situation qu’il jugeait à présent d’une gravité extrême.
La paix ne tenait plus qu’à un fil. Il le savait mais lui non plus n’aurait su
dire exactement pourquoi. Que s’était-il donc passé de si décisif en une
quinzaine de jours, depuis son départ pour la Russie ?
    Une seule chose devenait évidente aux yeux du chef
de l’État : changer au plus vite de ministre des Affaires étrangères.
Les sautes d’humeur de Viviani commençaient à lasser tout le monde. Il conserverait
la présidence du Conseil pour des raisons d’équilibre politique. Mais il
faudrait trouver un nouveau patron pour le Quai d’Orsay.
    Adolphe Messimy, lui non plus, n’était pas le ministre de la
Guerre idéal. Âgé de quarante-cinq ans, l’ancien député de l’Ain peinait à
s’imposer auprès de l’état-major militaire. Il était pourtant passé par
Saint-Cyr et était même breveté de l’École de guerre. Il faisait de son mieux.
    Quelques mois plus tôt, Messimy s’était mis en tête
d’apporter une touche de transformation à l’uniforme français. La capote bleue
et surtout le pantalon rouge étaient par trop voyants et représentaient des
cibles rêvées pour les fusils ennemis. Les Britanniques avaient bien adopté le
kaki et les Allemands le feldgrau. Pourquoi ne pas en faire autant ?
C’était le bon sens même.
    Sa proposition d’une teinte moins criarde souleva d’emblée
un tollé général. Qu’on change de conception stratégique, soit ! Mais pas
l’uniforme. Il était sacré, il était le symbole de l’éclat du soldat en même
temps que du bon goût français.
    Messimy comprit bien vite qu’il eût sans doute été plus aisé
de faire élire Félix Mayol à l’Académie française ! Il se fit éreinter par
les cercles d’officiers ainsi que par la presse. À la Chambre, Eugène Étienne,
un des prédécesseurs de Messimy rue Saint-Dominique, se déclara
scandalisé :
    — Éliminer le pantalon rouge ? Jamais ! Le
pantalon rouge, c’est la France [228]  !
     
    La mort dans l’âme, le ministre de la Guerre avait dû
piteusement battre en retraite.
    Pour Poincaré, ce qui se passait en Russie était autrement
plus préoccupant. Que faisait donc Paléologue sur le terrain ? Pourquoi
était-il si avare de télégrammes et de dépêches en ce moment crucial ?
Avait-il vraiment délivré à Saint-Pétersbourg le message de modération qui convenait ?
    Pour la centième fois, le président de la République
relisait le texte de la Convention militaire de 1892 avec la Russie qui venait
d’être modifié l’année précédente. C’était inutile, il le connaissait déjà par
cœur. L’article 2 de l’accord était dépourvu d’ambiguïté. La France
n’était tenue de procéder à la mobilisation immédiate de ses troupes,
simultanément avec l’armée russe, qu’en cas de mobilisation générale de
l’Allemagne. Cela signifiait à contrario qu’elle n’y était pas tenue dans
l’éventualité d’une mobilisation seulement partielle de Berlin ou même dans
celle d’une mobilisation générale de l’Autriche.
    Signé à l’époque par le général de Boisdeffre, l’accord
était demeuré secret. En cas de guerre, se disait Poincaré, il faudrait bien en
révéler l’existence au Parlement avec toutes les conséquences politiques qui en
découleraient.
    À cette heure précise, Berlin n’avait pas encore mobilisé et
ne s’était même pas risqué au premier cran dans l’escalade des périls, la
déclaration de menace de guerre imminente. Que signifiait, dans ces conditions,
cette rumeur de mobilisation russe partielle que venait d’annoncer
Paléologue ? Pourquoi n’y avait-il pas eu de concertation préalable entre
Saint-Pétersbourg et Paris ?
    Poincaré commençait à comprendre qu’il était

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