1914 - Une guerre par accident
31 juillet sous
la forme d’un télégramme enthousiaste aux armées : « En
avant ! »
Nettement moins euphorique, le vieil empereur soupira :
— Si la monarchie doit périr, au moins qu’elle le fasse
convenablement [239] !
Parole de vieillard sur le déclin, certes. Mais Berchtold
lui-même n’était pas vraiment dupe. Dans son télégramme aux armées, il avait
ajouté à tout hasard : « Pas d’engagement intempestif. » Mieux
que quiconque, il savait que l’armée autrichienne n’était pas prête à livrer
bataille. Conrad l’avait prévenu que les unités les plus avancées de l’armée ne
seraient pas en mesure de franchir la frontière serbe avant le
12 août ! Alors pourquoi tant de hâte à s’engager dans un cycle
fatal ?
Cette guerre, Berchtold l’avait trop désirée. C’était sa
guerre, on ne pouvait la lui voler en toute dernière minute. Il fallait donc la
commencer, à tout prix. Pour couper court définitivement à toute démarche de
conciliation. Pour créer l’irréversible. Rien ne devait arrêter les dés de fer
de rouler.
Ostende, 31 juillet, 13 h 40
Avec un quart d’heure de retard, le train express pour
Herbesthal et l’Allemagne s’ébranlait laborieusement dans un grincement
métallique.
Stefan Zweig restait encore incrédule tant la chose lui
paraissait inimaginable. Étant de nationalité autrichienne, il devait fuir
précipitamment la Belgique où il passait des vacances paisibles. Comme chaque
année, il séjournait dans la station balnéaire du Coq, en mer du Nord. Début
août, il comptait rendre visite à son grand ami, le poète belge Émile
Verhaeren, dans sa petite maison de campagne au nom si pittoresque,
« Caillou-qui-bique ».
Ses vacances, Zweig les avait débutées dans l’insouciance et
la légèreté. Au Coq villégiaturaient également des artistes aussi attachants
que le dramaturge Fernand Crommelynck ou le peintre James Ensor, tous amis de
Zweig. La vie y était facile et agréable. Qu’est-ce donc que cet archiduc
« mort dans son sarcophage », ainsi qu’il l’écrirait [240] ,
avait à faire dans leur vie ? Rien sans doute, si ce n’est que l’histoire
finit toujours par rattraper ceux qui croient pouvoir s’en abstraire.
La guerre, Stefan Zweig s’était mis à y penser, comme tout
le monde, au moment de cet extravagant ultimatum de l’Autriche à la Serbie. De
Tobelbad, près de Graz, son épouse Friderike lui écrivait déjà qu’elle était
« morte de peur tout à coup ».
L’atmosphère se dégrada brusquement. Les touristes
commencèrent à déserter les hôtels. Soudain, le vent glacé de l’angoisse balaya
la plage. Au Coq ceux qui parlaient français commencèrent à jeter des regards
noirs à ceux qui s’exprimaient en allemand. Zweig faisait partie de ceux-ci. Le
français, cette langue qu’il avait tant aimée, eut soudain pour lui une
sonorité hostile. Dans les rues d’Ostende patrouillaient déjà des soldats
belges. Certains d’entre eux étaient curieusement accompagnés de chiens
traînant des mitrailleuses sur de petites voitures.
Les amis de Zweig se disaient convaincus que les Allemands
avaient l’intention de percer à travers la Belgique. Lui ne cachait pas son
indignation :
— C’est un non-sens ! Les Allemands ne peuvent
entrer en Belgique. Vous pouvez me pendre à cette lanterne si je me trompe [241] !
On était encore le 29 juillet. Deux jours plus tard,
Stefan Zweig sauta dans le premier train pour l’Allemagne. C’était aussi le
dernier à être autorisé à partir. Une fois la frontière franchie, Zweig croisa
plusieurs convois de marchandises aux wagons recouverts de bâches sombres et
épaisses. Il crut reconnaître les formes indistinctes et menaçantes de canons.
Peu après, son train traversa de toutes petites gares qui étaient cependant
dotées de quais de huit cents mètres de longs. Des quais destinés, selon toute
évidence, à y accueillir des milliers de soldats. Vraiment pacifiques, les
intentions allemandes à l’égard de la Belgique ?
Au-delà du désespoir qui commençait à l’étreindre, Zweig
était reconnaissant à ses amis de ne pas l’avoir pris au mot.
Londres, 31 juillet, 18 h 15
Hormis son flegme naturel, sir Edward était un homme
désabusé. Ses tentatives diplomatiques avaient toutes échoué, sans exception.
Sans même daigner les examiner, Berlin comme Vienne avait repoussé ses
propositions successives de
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