1940-De l'abîme a l'espérance
souveraine. Et ce, au moment où les dépêches annoncent que le gouvernement de Vichy multiplie les décisions infâmes en promulguant le statut des Juifs.
Il y a, venant de la France occupée, copie de cette lettre adressée au maréchal Pétain par un avocat, Pierre Masse, de confession juive.
Ce n’est pas un plaidoyer mais le plus terrible des réquisitoires.
« Monsieur le Maréchal, écrit Pierre Masse.
« J’ai lu le décret qui déclare que tous les Israélites ne peuvent plus être officiers, même ceux d’ascendance strictement française.
« Je vous serais obligé de me faire dire si je dois aller retirer leurs galons à mon frère, sous-lieutenant au 36 e régiment d’infanterie, tué à Douaumont, en avril 1916 ; à mon gendre, sous-lieutenant au 14 e régiment de dragons, tué en Belgique, en mai 1940 […]. Mon fils Jacques, sous-lieutenant au 62 e bataillon de chasseurs alpins, blessé à Soupir en juin 1940, peut-il conserver son galon ?
« Suis-je enfin assuré qu’on ne retirera pas rétroactivement la médaille de Sainte-Hélène à mon arrière-grand-père ?
« Je tiens à me conformer aux lois de mon pays, même quand elles sont dictées par l’envahisseur.
« Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, les assurances de mon profond respect. »
C’est à la France Libre de combattre, de réparer, d’effacer ces infamies commises au nom du peuple français.
De Gaulle le dit à quelques officiers – dont Leclerc – rassemblés autour de lui, à Brazzaville, sur un morceau d’Empire arraché à Vichy.
« Les jours que nous vivons, analyse-t-il, sont les plus terriblement graves de notre Histoire. En ce moment même, les malheureux ou les misérables qui prétendent, à Vichy, constituer le gouvernement français, sont engagés de force avec l’ennemi dans d’infâmes négociations. »
Il fait quelques pas, s’écarte, revient, ajoute :
« C’est que la servitude n’enfante qu’une plus grande servitude.
« Quand on s’y est jeté, il faut aller jusqu’au bout ! »
Puis, haussant le ton, plus solennel et énergique encore, il dit :
« Français Libres, à présent la France c’est nous. L’honneur de la France est entre nos mains. »
29 .
Ce mercredi 30 octobre 1940, depuis le début de la matinée, les stations de radio annoncent que le chef de l’État français, M. le maréchal de France, Philippe Pétain, adressera à 17 h 30 un message aux Français.
La voix des speakers est solennelle.
Il y a quatre jours, le samedi 26 octobre, les journaux de la zone occupée et ceux de la zone libre – et les journaux du monde entier – ont publié la photographie du maréchal Pétain serrant la main du Führer Adolf Hitler en gare de Montoire-sur-le-Loir.
Les deux hommes se sont rencontrés le jeudi 24 octobre en zone occupée, donc.
Le Führer était accompagné de son ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, et Pierre Laval, le vice-président du Conseil des ministres, se trouvait aux côtés du Maréchal.
De brefs commentaires accompagnent le document qui, au-delà des milieux politiques de Vichy, surprend l’opinion.
Les deux hommes se font face. Ils sont en uniforme.
Le Maréchal n’arbore sur sa veste que sa médaille militaire. Il regarde Hitler droit dans les yeux.
« Il n’a pas l’allure modeste et humble d’un vaincu. C’est l’incarnation de l’honneur militaire, de la France éternelle », affirme un commentateur.
On décrit le voyage de Vichy à Montoire, la voiture du chef de l’État précédée de motocyclistes en gants blancs, les compagnies de la Wehrmacht qui rendent les honneurs, les généraux allemands venus saluer le glorieux maréchal.
« La France peut être fière d’avoir été représentée par un soldat dont la dignité inspire le respect à l’adversaire victorieux. »
Mais on attend avec impatience et anxiété son message, dont on espère qu’il apportera enfin autre chose que de belles promesses, mais le desserrement de la pression allemande, un calendrier pour la libération de ces près de deux millions de prisonniers et peut-être l’ouverture de négociations de paix, conduisant à la fin de l’occupation.
Enfin Pétain s’explique. Enfin cette voix, qu’on reconnaîtrait entre mille qui s’est gravée dans les mémoires depuis ce lundi 17 juin 1940, quand elle a prononcé la phrase fatidique : « C’est le cœur serré que je
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