1940-De l'abîme a l'espérance
Hongrois ou les Slovaques. Désormais, un prêtre catholique d’origine juive ne cesse pas d’être juif.
L’antijudaïsme français qui prétendait n’être que « religieux » a laissé la place à un antisémitisme qui définit et vise la « race juive ».
Juifs étrangers, Juifs français, Juifs convertis au christianisme : tous sont confondus dans la même haine raciste, exterminatrice.
Pas de place pour les Juifs dans les fonctions publiques. Pas de place pour eux dans le journalisme, le cinéma, le théâtre, la radio, et bien entendu dans l’enseignement.
Les dispositions de ce statut des Juifs entraîneront des radiations, des mises à l’index, des vexations innombrables, une pression policière qui crée un climat lourd de soupçons.
Il y a des délateurs qui écrivent des milliers de lettres de dénonciation. Toute la lie d’une société qui se terre habituellement remonte à la surface, pourrit les relations humaines, la vie sociale.
Et d’autant plus que le garde des Sceaux, Raphaël Alibert, veille à la stricte application de cette législation raciale.
Dans une circulaire, il indique que pour identifier les Juifs, des indices sont fournis par les prénoms figurant sur les actes d’état civil, et par les noms inscrits sur les sépultures des cimetières juifs.
Les descendants peuvent ainsi être repérés et poursuivis, tomber sous le coup du statut du 3 octobre.
On dresse des listes, on relève des adresses, on classe les lettres de dénonciation, on construit des arbres généalogiques. Tout est prêt pour des rafles à venir. Mais le premier pas décisif a été accompli : désigner, accuser, mépriser, déshumaniser, isoler, dépouiller, et persécuter.
Et diffuser dans toute la société l’angoisse, la peur, la traque, l’envie, la veulerie et la lâcheté.
On mesure la force brutale de ces passions, on voit se dessiner le vrai visage du régime de Vichy, le dimanche 6 octobre 1940, à Nice, quand Joseph Darnand, un ancien combattant de 14-18 et de 39-40, décoré en 1918 de la médaille militaire par le général Pétain, fait prisonnier en juin 1940, évadé, monte à la tribune pour s’adresser aux 15 000 personnes venues célébrer la fondation de la Légion française des combattants.
« Nous avons assez pleuré, s’écrie Darnand. Nous avons assez souffert en silence des malheurs de la France… Nous avons besoin maintenant que les vrais Français patriotes remplacent les métèques, les Juifs et les étrangers. »
Dans la salle du casino municipal où se pressent 8 000 personnes – la foule est aussi importante à l’extérieur –, on applaudit à tout rompre.
« Il faut chasser les faux Français qui ont mené le pays à la ruine, continue Darnand. Nous allons rompre avec des hommes qui nous ont exploités et perdus… Il faut que les fautifs soient châtiés. Le Maréchal l’a promis. Il est pour nous la vraie lumière dans la nuit noire où des misérables nous ont plongés. »
Sur l’estrade, se trouve aux côtés de Darnand le révérend père Bruckberger, son compagnon d’armes.
Darnand donne lecture du serment « légionnaire ».
« Je jure de consacrer toutes mes forces à la Patrie, à la Famille, au Travail…
« J’accepte librement la discipline de la Légion pour tout ce qui me sera commandé en vue de cet idéal. »
Ces milliers d’hommes crient d’une seule voix : « Je le jure ! »
Ils lèvent le bras, comme on le fait dans l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.
Et on scande : « Vive Pétain ! Vive la France ! Vive le Maréchal ! »
On vénère le Maréchal.
On attend en ce mois d’octobre sa parole, car chacun sent bien que l’on s’enfonce dans des temps plus difficiles encore.
Il parle le mardi 8 et le vendredi 11 octobre, parce que autour de lui on mesure l’anxiété de la population, les difficultés croissantes de la vie.
Les queues s’allongent devant les boutiques. Et les étals sont vides, les rations alimentaires insuffisantes, le marché noir florissant, la pression allemande de plus en plus forte.
« Depuis plus d’un mois, j’ai gardé le silence, dit le Maréchal. Je sais que ce silence étonne et parfois inquiète certains d’entre vous. »
Sa voix est encore plus grave, tremblante.
« Cet avenir est encore lourd et sombre… L’hiver sera rude… Le problème du ravitaillement s’est posé au gouvernement comme une
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