1940-De l'abîme a l'espérance
cet automne 1940, sort peu à peu de la sidération dans laquelle l’avait plongée l’effondrement – le cataclysme – de mai et juin.
Au fond de l’abîme, elle se redresse.
De Gaulle le sent.
Il parcourt, aux antipodes, les territoires de l’Afrique-Équatoriale française ralliés à la France Libre.
Et partout, à Douala, à Yaoundé, à Fort-Lamy et à Brazzaville, on l’accueille avec enthousiasme. On chante La Marseillaise. Les troupes lui rendent les honneurs.
Mais parfois, ainsi au Gabon, les vichystes résistent et c’est le deuil du combat fratricide de Dakar qui est tout à coup brutalement ravivé.
Que de morts inutiles ! Que d’héroïsme fourvoyé !
De Gaulle pense à ce capitaine de corvette qui saborde son sous-marin après avoir lancé une torpille contre un croiseur anglais, et « coule bravement » son navire.
Il pense à ce gouverneur du Gabon qui se rallie à la France Libre puis se ravise et se pend ! Et les officiers et la plupart de leurs hommes refusent de rejoindre la France Libre.
Heureusement, il y a ses compagnons, Leclerc, Messmer, Pâris de Bollardière, Simon, Massu, ces jeunes officiers résolus à hisser la patrie hors de l’abîme. Les voir, c’est comme un « lavage d’âme ».
C’est pour cela qu’à Brazzaville, en ce dimanche 27 octobre 1940, il crée l’ Ordre de la Libération afin de distinguer plus tard, quand Paris et Strasbourg seront libérés, ceux qui ont formé la première cohorte de la Résistance et de la France Libre.
Mais tout est si fragile encore.
Churchill, devant la Chambre des communes, lui a renouvelé sa confiance en dépit de l’échec de Dakar et « l’opinion que nous avons de De Gaulle a été rehaussée par tout ce que nous avons vu de sa conduite dans des circonstances particulièrement difficiles », a déclaré Churchill.
Et cependant les Anglais semblent hésiter à continuer de le soutenir.
Ils ont approché le général Catroux, l’aîné de De Gaulle d’une dizaine d’années et général cinq étoiles. Veut-il remplacer de Gaulle ?
Les Anglais jouent leur jeu.
Ils entretiennent, par l’intermédiaire des diplomates canadiens, des relations discrètes avec le maréchal Pétain.
Ils acceptent de recevoir un universitaire, le professeur de philosophie Louis Rougier, qui se présente à Londres comme le représentant du Maréchal et qui, au cours de nombreuses rencontres avec lord Halifax et Winston Churchill, établit une sorte de « protocole » entre Londres et Vichy.
Mais seul Rougier accorde une importance décisive à ce texte. Pour les Anglais, les contacts avec Rougier permettent de connaître la situation à Vichy. Pour Rougier et le maréchal Pétain, c’est de la grande politique, moyen de contrebalancer la puissance allemande. Parce que Churchill a rencontré Rougier. Et c’est une carte de plus dans les mains des Anglais pour « contrer » éventuellement de Gaulle, le tenir.
De Gaulle voit aussi se recréer, au sein de la France Libre, les rivalités suicidaires des clans, des ambitions personnelles, des rancœurs, des soupçons, un « tumulte d’aigreurs ».
Certains poussent l’amiral Muselier contre de Gaulle.
Raymond Aron craint que le Général ne soit tenté par le « pouvoir personnel ».
On l’accuse d’être entouré de cagoulards.
D’autres de promouvoir des Juifs et des socialistes.
Certains s’insurgent de lire dans le quotidien de la France Libre, France , un éloge de Léon Blum !
Et le général de Larminat s’étonne et regrette que l’on reprenne dans la France Libre la triade républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ! »
L’Histoire chemine ainsi.
« Je t’écris ici, après un grand tour en avion dans trois des points importants du Cameroun et du Tchad, explique de Gaulle à son épouse. L’esprit est excellent. Tout va bien, mais la tâche est lourde matériellement et moralement. Il faut accepter, écrit-il, laconique, et je les accepte, toutes les conséquences de ce drame dont les événements ont fait de moi l’un des principaux acteurs. Celui qui saura vouloir le plus fermement l’emportera en définitive, non seulement en fait mais encore dans l’esprit des foules moutonnières. »
Il poursuit donc, tout au long de ce mois d’octobre, son périple en Afrique, créant un Conseil de défense de l’Empire, à Brazzaville.
La France Libre a désormais un territoire où elle est
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